Un homme disparaît soudain du fauteuil où il était assis, aussitôt ses amis, ses collègues oublient jusqu'à son existence ; un dessin disparaît tout aussi brutalement de la table où il était posé ; une route, un paysage s'effacent subite­ment devant une voiture. En re­vanche, une jeune femme apparaît, mystérieusement, une jeune femme au comportement déconcertant...

Ces événements, seul un homme semble en avoir conscience : Douglas Hall, l'assistant de Hannon Fuller, l'inventeur du Simulateur d'envi­ronnement total Simulacron 3. Fuller est mort ; une mort inexpli­cable : accident selon les dirigeants de la REACO, la puissante société qui doit exploiter à son profit la fabuleuse machine destinée à supplanter les Sondeurs de réac­tions publiques ; assassinat selon Hall.

Mais qui aurait tué Fuller ? Quel secret fatal avait-il découvert auprès de ce peuple de simulacres, de cette fascinante communauté électroma­thématique sortie de son esprit ?

La notion de cyberespace est désormais bien connue : popularisée par l'ouverture d'internet au grand public au milieu des années 90 – qui s'est vue accompagnée d'un engouement pour le genre cyberpunk et notamment son œuvre-phare Neuromancien (1984), où le concept de cyberespace jouait déjà un rôle fondamental – mais surtout par l'immense succès de la trilogie Matrix (1999-2003) au cinéma, elle fut accueillie avec beaucoup d'intérêt par les profanes de la science-fiction qui y virent beaucoup des fantastiques possibilités que cette idée porte.

On s'étonne cependant de voir que Tron (1982), qui utilisait déjà une notion semblable n'ait pas suscité autant d'enthousiasme que les films des frères Wachowski ; qu'il s'agissait d'une production Walt Disney, qui plus est aux visuels déjà à base d'infographie et donc pour le moins avant-gardistes compte tenu de l'époque, y est certainement pour quelque chose. Quant à l'eXistenZ (1999) de David Cronenberg, pourtant loin d'être inintéressant, il était beaucoup trop obscur, dans tous les sens du terme, pour s'attirer les grâces du grand public – ce à quoi, du reste, ce réalisateur nous a habitué.

Pourtant, cette notion de cyberespace est bien plus ancienne que Tron. Vous vous en doutez, elle est apparue dans ce roman de Daniel Galouye publié 35 ans avant la sortie de Matrix. Pour autant, il ne s'agissait que de la concrétisation – à travers le prisme techno-scientifique de la science-fiction – d'une idée encore plus vieille que Descartes, déjà, avait exposé sous son expression bien connue « cogito ergo sum » (« je pense donc je suis« ) et que Platon, bien avant lui, avait appelé « mythe de la caverne« . Ces références sont d'autant plus méritées que, vous vous en doutiez aussi certainement, le récit de Galouye se situe bien loin des poncifs hollywoodiens.

Encore qu'il serait plus juste de parler de « réalité virtuelle » que de cyberespace – même si la frontière entre les deux reste mince. Car ici, le « monde faux » sert d'outil marketing pour remplacer les instituts de sondage à travers des tests de produits à grande échelle ; et bien sûr, les « habitants » de cette simulation n'ont aucune idée que leur existence est « fausse » – autrement les résultats des tests seraient faussés eux aussi. Rien de bien excitant pour le moment, du moins selon les standards du cinéma. Heureusement, ceux de la science-fiction littéraire sont différents.

D'ailleurs, les personnages principaux du roman ne font pas partie de cette simulation, puisque ce sont eux qui l'ont créée. Ils sont dans une autre – là aussi, vous vous en doutiez certainement, au moins un peu. C'est l'unique point commun avec Matrix. Car Simulacron 3 ne tente même pas de nous (re)faire le coup de la sempiternelle et manichéenne lutte de pauvres humains affligés par le joug esclavagiste de machines misanthropes (1) : au lieu de ça, Galouye nous propose une illustration intéressante – et surtout fine, car profondément humaine – sur le thème du pouvoir et des abus dont peuvent se rendre coupables les puissants.

De la hard-science (2) – même si les descriptions technologiques amuseront peut-être les lecteurs d'aujourd'hui – avec un brin de Philip K. Dick (3) – mais qui est ici rendu supportable à travers une adroite mise en abîme du postulat de départ – bref, un ouvrage comme on aimerait en lire plus souvent et qui propose une réflexion sur les facettes sombres de la nature humaine doublée d'une vision poétique de ce qui définit ladite nature : le genre d'histoire dont on ne sort pas indemne et qui prouve une fois de plus qu'Hollywood n'a rien compris à la science-fiction.

Fort heureusement, il nous reste les livres...

(1) les « révélations » présentées dans les Animatrix sur les origines du conflit humains-machines dans la trilogie Matrix ne sont qu'une énième variation sur un thème éculé jusqu'à la nausée, et qui bascule au final dans le cliché habituel.

(2) un sous-genre de la science-fiction qui repose sur des bases techno-scientifiques très solides.

(3) célèbre auteur de science-fiction dont l'œuvre se base pour l'essentiel sur le thème de la manipulation du réel, sous toutes ses formes.

Adaptations :

- Le Monde sur un fil (Welt am Draht), 1973, Rainer Werner Fassbinder (série TV).
- Passé virtuel (The Thirteenth Floor), 1999, Josef Rusnak.
LeDinoBleu
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le 3 mars 2011

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