Le projet du livre pourrait s'apparenter à un simple exercice de style, quelque peu scolaire : reprendre certaines des Métamorphoses d'Ovide en se mettant du point de vue des "Métamorphosées". Mais en arpentant ces "contes", on se retrouve très vite surpris et emballés par leur diversité, autant dans l'angle choisi (le ton) que dans la forme (dialogue théâtral, poésie, récit introspectif...).
Les trouvailles sont parfois étonnantes (Myrrha en séance chez le psy, dont la transformation en arbre serait l'aboutissement de la thérapie, ou encore Alcmène en mode "mère ultra bobo" du petit "Herc"), et permettent à Nina MacLaughlin d'aborder un très grand nombre de sujets : le virilisme exacerbé des Dieux, qui deviennent des figures poisseuses profitant de leur pouvoir pour laisser libre cours à leurs pulsions les plus noires ; la mono-parentalité ; la sororité, ou son contraire, avec une Junon présentée comme une femme reproduisant les schémas masculins de domination, à la manière du personnage incarné par Cate Blanchett dans Tàr ; la complicité des vieux couples heureux ; le viol ; le travail acharné des invisibles (gros coup de coeur pour "Arachnè")...
Le pari de l'autrice, à savoir de retranscrire le caractère éternel des Métamorphoses, est parfaitement réussi. Les marqueurs temporels sont assez diffus : on retrouve des éléments typiques de l'Antiquité, notamment lors des scènes de repas très "méditerranéens" ou des parties de chasses aux côtés des Nymphes, qui jouxtent des éléments résolument modernes. L'image trouvée dans l'épilogue de cette vieille table en bois, issue d'un arbre millénaire, qui a traversé les époques, sur laquelle l'autrice converse avec le vieil auteur et avec nous, est merveilleusement juste. Ce livre est une conversation au coin du feu, qui mélange toutes les générations, et à laquelle on a très envie de participer.