Dans les rayons de la librairie, le bouquin s'offre à moi rempli de promesses: à en croire le bandeau qui l’entoure, son auteur, Ragnar Jónasson, serait rien moins que l’héritier d’Arnaldur Indriðason! Il s’agirait en outre, d’après The Independent, du meilleur roman policier 2015. Reste à savoir si le récit est bien à la hauteur de cette pub alléchante et si l’héritier présomptif est vraiment de taille à rivaliser avec le maître islandais…
Un polar nordique, c’est d’abord une atmosphère. Et là, c’est vrai, ça commence fort. Si pour les "méridionaux" que nous sommes, le seul nom de Reykjavik peut déjà évoquer le cauchemar de longues nuits sans fin dans les frimas de l’enfer blanc scandinave, sachez que pour notre héros, Ari Thór, jeune policier à peine sorti de l’école, Reykjavik, c'est le Sud, enfin presque. L’action se passe dans le Nord de l’Islande, mais alors, très loin dans le Nord, du côté du cercle arctique : à Siglufjördur, petite bourgade hors du monde, isolée de la civilisation par des mètres et des mètres de congères, où la neige tombe en quasi permanence, formant d’épais manteaux blancs qui vous recouvrent une scène de crime en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Si vous êtes du coin et que vous avez l'habitude, vous prenez votre mal en patience en vous disant que le printemps finira bien par revenir, dans cinq ou six mois, ou peut-être un peu plus. Mais pour notre jeune flic qui vient de décrocher son premier boulot à des centaines de kilomètres de la relative douceur de Reykjavik et de sa petite amie Kristín , le séjour est loin d’être une partie de plaisir: sa copine, qui a bien entendu refusé de le suivre dans ce trou perdu, lui fait la tête, ses collègues sont un brin condescendants, le climat trop rigoureux incite à la déprime. Et pour couronner le tout, voici que ce job présenté comme une sinécure dans un bled où il ne se passe jamais rien se complique méchamment lorsqu’un écrivain célèbre fait une chute mortelle dans les escaliers du théâtre local, chute qui pourrait se révéler moins accidentelle qu’elle n’en a l’air. Quelques jours plus tard, c’est une jeune femme qui est retrouvée poignardée dans la neige. Quant à notre jeune inspecteur, le voilà lui-même victime d’une agression à domicile. Bref, pour Ari Thór, c’est plutôt la poisse, mais aussi l’occasion de faire ses preuves.
Il n’y a pas à dire, l’intrigue est bien construite, le rythme est soutenu, le suspense au rendez-vous, l'atmosphère oppressante comme dans tout roman policier scandinave qui se respecte. Cependant, il me semble que Ragnar Jónasson devra encore travailler un peu pour égaler le roi du polar islandais. Si Ari Thór est un jeune homme plutôt sympa, certes un peu gaffeur, un peu puéril, attendrissant avec ses peurs irraisonnées et ses doutes sentimentaux, il faut reconnaître qu’il ne pèse pas bien lourd face à un héros à la personnalité complexe et tourmentée comme celle de l’inspecteur Erlendur dont les obsessions et les blessures d’enfance constituent un des principaux facteurs d’intérêt des romans dans lesquels il apparaît. Les problèmes de la société islandaise sont tout juste évoqués: tout au plus quelques allusions à la crise financière de 2008 et à la difficulté pour les jeunes de décrocher un emploi. On est bien loin de l’analyse sociale et politique à laquelle Indriðason se livre dans ses récits, de son intérêt pour le passé de l’Islande. Le roman de Ragnar Jónasson, c’est une intrigue policière, rien de moins, rien de plus. Malgré tout, il nous fera passer un agréable moment, mais il ne faut pas demander à ce livre plus que ce qu’il est, à savoir un bon divertissement.