Petit coup de cœur surpris pour Solak, ce premier roman de l'étonnante bretonne Caroline Hinault avec un titre qui claque comme un coup de fusil.
Certes elle est quand même prof agrégée de lettres mais à première vue, on ne la soupçonnerait pas d'être à l'origine de cette histoire étonnamment virile et féroce.
Nous voici donc hélitreuillés au-delà du cercle polaire, au bord de l'océan arctique, dans une minuscule base militaire et scientifique.
Ils ne sont que quatre à se partager les baraquements : confinés aux confins du monde, ils se considèrent à part des "terriens" comme ils nous appellent.
[...] On commençait à être beaucoup trop sur cette île. Si je suis resté sur Solak, c’est pas pour tailler la discussion mais supporter ma haine des vivants.
Les soldats sont chargés de veiller sur le drapeau (dont ne saura pas la couleur, même si on l'imagine plus ou moins blanc, bleu, rouge) et de veiller sur le séjour des scientifiques qui guettent le réchauffement climatique.
C'est un peu comme une prison à ciel grand ouvert, perdue dans l'immensité blanche de la banquise.
Dès les premières pages s'allument tous les warnings : l'un des quatre, Igor, repart dans l'hélico mais ... dans une boîte (il s'est fait sauter le caisson un peu avant qu'on arrive) et un petit nouveau débarque pour le remplacer.
Le petit jeune fraîchement hélitreuillé est ... muet (!) et son intégration au sein de cette équipe d'ours mal léchés prisonniers des confins du monde s'annonce pas facile. Faut être franchement barge et misanthrope pour aller se perdre des mois voire des années au bord de la banquise, dans le froid polaire et la nuit sans fin. Chacun traîne sans aucun doute un trop lourd passé qu'il convient d'oublier à Solak.
[...] Ce que je voulais, c’était m’anesthésier, et la banquise pour ça, c’est l’idéal.
[...] Il s’est mis à causer tout seul. On le fait tous. Mais Igor parlait seul avec nous, c’était ça le problème, c’est par le langage, toujours, que ça commence.
[...] L’instant où on comprend ça. Que rien ni personne viendra nous sauver. Qu’on est seul ici. Rien qu’une carcasse chaude sur un continent froid. Du vivant, mais pas pour longtemps.
[...] Des fois, je nous regarde et je pense qu’on est comme le bon, la brute et le vieux schnock, le gosse compte pas, c’est un intrus depuis le début.
La prose de dame Hinault est au diapason de cette histoire féroce et virile : c'est le monologue de Piotr, l'un des quatre confinés (des années qu'il est là-bas, un peu comme s'il avait pris perpète en taule) et qui s'adresse tantôt à l'un de ses collègues (rarement), tantôt à la jeune recrue (pas souvent) ou bien qui se parle carrément tout seul (le plus souvent).
Avec son lot de surprises (même à Solak, le passé finit par vous rattraper ...), le final apocalyptique est à la démesure de cette immensité noire et glacée.
C'est fort, puissant, presque lyrique parfois, mais c'est vraiment très prenant, et le moins que l'on puisse dire c'est que la gente masculine ne sort pas grandie de cette terrible et sombre histoire.
[...] Ça fanfaronne les hommes, c’est comme ça.
[...] À croire que les femmes sont nulles en dictature.