Superbe bouquin qui démarre en trombe par une rêverie sous-marine hallucinée, et qui faillit me perdre en tant que lecteur dès les premières pages, tant le style ampoulé et certainement dérangeant, m'a secoué d'emblée. Heureusement je me suis accroché , car très vite non seulement le style de André Pieyre de Mandiargues m'a tout à fait conquis mais les intrigues fantasmatiques de ces quelques histoires sont étonnantes et si elles ne livrent pas toujours leur sens, elles laissent traîner chez vous comme un parfum de Maldoror...
Je serais bien en peine de vous définir de quoi il retourne exactement dans ces histoires absolument folles. Chaque récit est absolument hypnotique, par son langage inhabituel et par cette tension inquiétante que Mandiargues sait y injecter. Il y en a six rassemblés dans cet ouvrage, chacun développant un mode particulier de fantastique, chacun évoquant la figure de la femme, souvent transformée, statufiée, animalisée, victimisée.
La première histoire, "L'Archéologue", nous raconte un couple en proie à une vision si fatidique, si traumatisante, durant leur voyage de fiançailles en Italie, qu'elle en vient à mystérieusement détruire leur amour. Cette histoire est traversée de sous-entendus bizarro-freudiens (une blessure rouge infestée de.... fraises), de correspondances oniriques, de statues englouties et de statuettes vivantes, tout un réseau de signifiants autour du Désir, de l'Union et de la Malédiction.
"Clorinde" est un récit court mais puissant sur la rencontre d'une guerrière minuscule, qui sera victime de la curiosité du narrateur. Ce thème se rencontre dans tout le livre : géantes, naines, homoncules, miniaturisation même, comme dans la nouvelle suivante où un homme se trouve réduit à la taille d'une puce à l’intérieur d'un morceau de "Pain rouge". Macrophilie de l'auteur ou simple jeu d'imagination sur la taille, à chacun de juger, je suppose.
"L'Etudiante", probablement la plus étrange (et la moins claire pour moi) de ces nouvelles, joue elle aussi sur les tailles, celles de réalités/ scènes encastrées les uns dans les autres, dans laquelle le regard du narrateur nous fait plonger en une vertigineuse descente.
"L'opéra des falaises" est une fantasmagorie marine où hommes et animaux se mêlent, où une sirène mystérieuse entraîne le narrateur vers un monde musical et mortel.
Le dernier récit, "La vision capitale", est superbe, un véritable script de cinéma, qui mélange un récit de sauvageonne avec une intrigue de maison hantée à la Edgar Allan Poe, en passant par une inquiétante transformation de l’héroïne en... poule, oui cet animal dont on coupe le cou, mauvais présage s'il en est.
Au final j'ai adoré ce bouquin aux descriptions incroyables, au vocabulaire décalé et précieux, et que traversent comme un humour étrange, et un amour du détail digne d'un Michaux sous mescaline. Accès difficile mais récompense certaine. Recommandé, guys et guyzettes!