Un sujet d'importance chez Giono, que ce lien indissociable entre les hommes et la nature que nous avons bien du mal à comprendre cent ans plus tard. Malgré sa compréhension des hommes et de ses vicissitudes, Giono rend hommage à la nature et évoque si bien sa Provence. Une écriture détaillée où les champs prennent vie, où le bistrot du village nous revient en mémoire, où la brise vient adoucir la chaleur étouffante de l'été et où le bruit d'une fontaine tant regretté est ici remplacé par les chants des cyprès pour donner du baume au cœur.
Des courts récits aux envolées poétiques pour sentir et ressentir cette nature, la spiritualité qui se dégage de cette force indestructible et de son bienfait pour l'homme. La main pour Fidélin l'aveugle, ou Joselet qui aura sacrifié sa virilité le démontre si bien, pourtant si elle donne, la nature peut être revancharde, et ne s'encombre pas des hommes. Prélude de Pan démarre si joliment avec un oiseau blessé qui viendra se réfugié sur l'épaule d'un inconnu. Une métaphore d'une nature bien peu commode, pour cet être semi-fantastique qui renverra aux habitants leur propre dérèglement les poussant à des comportements primaires qui se déchaîneront dans un après-midi de sang et de fureur. L'imagerie est d'ailleurs perturbante dans ce qu'elle évite soigneusement toute beauté renforçant encore un peu plus l'aspect monstrueux des hommes.
Radeaux Perdus, le démontrera encore avec l'innocence manipulée qui se heurtera à une nature qui ne veut plus rien donner, dangereuse, sombre et dévastée, et qui poussera les hommes au meurtre.
Au fil de la lecture, le style au départ difficile, emporte l'adhésion par l'authenticité du verbe, aux phrases simples où l'humour fait ses entrées pour détourner le drame, et nous plonge dans le monde paysan et de cette nature peu mise en avant à l'époque.
Giono aime les arbres et Joffroy de la Maussan qui a vendu ses terres, se plaindra du peu de cas qui est fait de ses fruitiers moribonds. On y apprécie alors les dialogues par effet rebond, où Joffroy usera de tous les stratagèmes, bien poussifs, tout autant comiques que dramatiques, profitant du bienfait communautaire jusqu'à l'usure. Cette nouvelle s'imbrique avec Le Mouton pour cette prairie, vue de loin, vivante et endormie, qui nous rappelle à ces nuages à qui l'on donne toutes sortes de formes animales, et le pays aux coupeurs d'arbres qui les placent définitivement dans la durée, comme piliers d'un monde qui se délite, seuls témoins du temps qui passe.
Mais ce sont aussi les hommes. Point de pitié dans Solitude de la pitié qui dresse sans détour et avec une imagerie silencieuse, le portrait qui en est fait, à profiter de la misère et du malheur des autres. La compassion de Giono, trouve ses chemins de traverses dans l'attachement d'un des deux compagnons pour le plus démuni, deux hommes sans nom, le gros et le faible, marquant d'autant plus leur anonymat, en dénonçant ceux qui se sont oubliés dans une richesse plus terre à terre que la mission dont ils ont la charge.
Annette suit la ligne et nous réserve sa chute odieuse mais encore si parlante à dénoncer ces gens qui se rassurent de leur légitimité à faire preuve de si peu d'empathie et d'égoïsme. Si Giono tente de nous rassurer et n'en oublie pas les sentiments, ce sont bien encore les amours déçues et les amitiés avortées qui prennent la main. Les passions impossibles avec Sylvie ou le ton dépressif avec Champs pour la destinée délétère d'un homme trompé, à qui on aura tout pris par sa bienveillance et Ivan Ivanovitch Kossiakoff pour ces deux soldats qui ne se comprendront que par gestes et échanges de photos, rêvant d'un beau mariage avant d'être rattrapé par la réalité mortifère de la guerre. Cette nouvelle sera une des seules où Giono parlera de son expérience guerrière et annonce son pacifisme.
Si La grande barrière, est la plus dure d'entre toutes, -pour les plus sensibles-, ou la destruction de Paris, la plus jouissive dans sa radicalité, Giono n'aura eu de cesse d'alerter sur le vivant quel qu'il soit, tout autant à sa place, tout autant que nous le sommes, et peut-être même un peu plus, mais on peut être gêner par un manque de complexité des personnalités décrites dans ce recueil.
Avec Solitude la pitié, Giono parle finalement un peu de la nature, un peu des hommes sans avoir la force narrative et la fluidité de sa seconde période (un roi sans divertissement et deux cavaliers de l'orage s'attachant plus frontalement à l'humain et à sa violence).
On se souviendra que sa sensibilité du sujet a influencé la biologiste kényane, W. Maathai, dans le reboisement de son pays et on pensera encore une fois à Akira Miyawaki, le semeur aux millions d'arbres pour nous donner des envies de forêt dans nos jardins.
L'arbre ? C'est exprès que je ne le compte pas. On voit que vous ne les connaissez pas. Si on n'y était pas ça ferait tout à sa fantaisie. C'est intelligent un arbre ; ça comprend des choses...mais c'est comme des bêtes, ça passe son temps à l'amusement. Je vais vous dire. Vous savez où il est mon verger ? Le vent froid, ça le reçoit en plein. Alors depuis la Noël, vous avez vu comme il faisait doux ? Bon eh ! Bien vous verrez. Il y en a deux ou trois qui sont fleuris ; si c'étaient des jeunes encore, ça va, il y aurait l'excuse, mais des vieux ! Et alors ils ont l'air de trouver ça très bien. Il ne le font pas en cachette, non, ils font ça comme ça, pour la gloire, pour dire : vous voyez, moi, si je suis fort ! Je suis le premier. Ils sont comme ça, vous savez les arbres... ]
[...Vous voyez mon quatrième arbre là-bas ? C'est toujours celui-là qui fait la fantaisie ; je vais un peu lui couper quelques branches, ça lui fera voir que c'est moi le maître...]