Le premier roman de Destremau est à n'en pas douter un roman de pianiste. Les passages techniques (heureusement assez courts et doté d'une réelle valeur narrative pour ne pas lasser le néophyte) pourraient suffire à le prouver. Le texte découpé selon les mouvements d'une sonate appuie l'impression d'entendre cette mélodie qui règne dans le cœur de Laszlo (le protagoniste) comme un Surmoi musical. On sent nettement la tension, particulièrement dans la coda évidemment, mais qui file le long du roman entier et empêche le lecteur de lâcher le livre. Il y aurait beaucoup à dire sur cet apparentement que l'on sent sans parvenir à le décrire.

Tout ceci est d'autant plus étonnant que l'intrigue présente des failles bien visibles : passages trop longs qui gagneraient à être élagués, trop nette différenciation des états d'âme, simplicités et surtout, le manque de surprise final. Le pianiste a besoin d'assassiner pour trouver l'émotion nécessaire pour jouer. Sans cela, il ne dispose que d'une technique parfaite, froide et impersonnelle. Il tombe amoureux de sa prochaine victime. Il a des ratés dans son jeu. Il est évident qu'il va la sacrifier dans l'espoir (ou plutôt la certitude) de retrouver son génie par sa mort. Dès qu'on est averti de l'intelligence étonnante d'Arthur (le fils de Lorraine, la victime), de son sens de l'observation, et surtout qu'il enregistre des conversations, on sait qu'il mettra à jour Laszlo. Peut-être ne comprendra-t-il pas, mais il saura bien mettre la puce à l'oreille aux autres. Peu d'originalité en somme.
Alors pourquoi ? Pourquoi cette tension, ce suspense qui nous pousse à tourner une page, puis une autre, et à ne pas s'arrêter ? Sans doute parce qu'on ne s'arrête pas au milieu d'un morceau. La musique nous emporte, nous met à la merci de l'interprète qui lui seul décide du moment où il nous relâchera et nous permettra de regagner ce mouvement vital qu'on quitte quand on lit un roman ou lorsqu'on écoute vibrer un orchestre. Mais d'où vient cette musique ? Des mots ?

« Je ne tue jamais le lundi. »

Le début est véritablement accrocheur. On y sent condensé tout Laszlo, pianiste obsédé par la recherche de la perfection, tuant sans remords ceux qui ont eu le malheur de déceler ses fautes, de le prendre en défaut – d'avoir vu, sous le voile de la renommée qui fait des artistes des demi-dieux, une imperfection toute humaine. On y sent son détachement, l'ordonnance de sa vie réglée comme du papier à musique, un ton distant, vaguement méprisant parce que supérieur. On ne tue pas ses semblables avec un ton pareil. Et Laszlo ne tue pas ses semblables. Il tue ses inférieurs. Le monde entier lui est inférieur, trop bête pour le découvrir, pour le comprendre, pour réaliser à quel point son génie est immense... Et se faire prendre en défaut par ce qu'on considère comme inférieur à nous est absolument insupportable.
Alors oui, Laszlo est un psychopathe dangereux : il en a toutes les caractéristiques. Il est froid, détaché, obsessionnel, grandiloquent, atrabilaire, égocentrique, surdoué, aveuglé par une enfance difficile – mère morte trop tôt et adulée, père aux airs de courroux divin qui le terrorise.
Il n'est rien d'autre.
C'est un personnage qui n'a qu'une colonne vertébrale, et pas grand chose autour. Tout comme Lorraine est une mère et une amoureuse, tout comme Arthur est un garçonnet de huit ans. Nul univers ne sous-tend ces ossatures. Ils sont décrits par des banalités et des redites. Le petit aime Harry Potter. On le saura. Et le petit ne parle pas comme un garçon de huit ans. Bien sûr, il y a des tours d'écriture enfantins, mais je doute fort qu'on sache analyser avec une clairvoyance aussi totale un syndrome d'Œdipe à son âge. Quant aux personnages secondaires, ils font office d'actants pour faire avancer l'intrigue (les victimes de Laszlo) ou bien de décor, de « petit fait vrai ».

Il ne s'agit donc pas des personnages, pas de l'intrigue, pas non plus de ces changements de point de vue qui ne font qu'éclairer trop crûment les stéréotypes qui régissent le comportement des personnages. Parce que ces éléments purement littéraires sont composés de mots, et qu'on peut y répondre par d'autres mots.
La cohérence et la réussite de la Sonate de l'assassin tient à la musique. Pour l'analyser, il faudrait être musicien, et non critique littéraire. Comment Destremau a-t-il pu faire passer les notes pour des mots ? Je ne chercherais pas à l'expliquer. Dans mon souvenir déjà, la Sonate... n'est plus un roman.
C'est un morceau de musique, et je ne me rappelle plus ni phrases ni mots. Je n'ai que le souvenir d'une mélodie.
Neska
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le 3 févr. 2011

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