Une cinéaste grande petite
Ces livres d'entretien de la collection face B, ils valent toujours la peine. De plus, tout au long de ces entretiens avec la cinéaste récemment décédée, se dessine le portrait d'une réalisatrice...
Par
le 30 oct. 2024
livre de Charlotte Garson, Quentin Mevel et Dominique Toulat (2024)
Les lecteurs de ces pages, tout du moins ceux qui sont cinéphiles, connaissent déjà la jolie (et économique, ce qui ne gâche rien) collection d’entretiens avec des réalisateurs – voire avec des écrivains et autres « auteurs » – qu’est Face B. Composés d’entretiens exhaustifs menés par des gens qui connaissent bien leur sujet (pas par le journaliste « lambda », donc, comme dans la grande majorité des cas), précédés par une introduction qui s’attache en général à dégager les grands thèmes de l’œuvre de l’interviewé, ces petits mais précieux ouvrages permettent de comprendre « en profondeur » la démarche créatrice à l’origine de chaque film (ou livre…), mais surtout les détails de son processus de construction. Chez Face B, on parle beaucoup technique – d’écriture, de tournage, de direction d’acteurs, de montage – ce qui est bien plus instructif que de lire une nième « critique » écrite par quelqu’un qui n’a jamais fait de films de sa vie (et nous nous incluons dans le lot).
Le dernier ouvrage de la collection se distingue néanmoins, et tristement, des précédents (sur Mazuy, Cantet, Belvaux, Donzelli, Salvadori, et d’autres…) : Sophie Fillières, interviewée ici par Quentin Mével, habituel complice de la collection, et par Dominique Toulat, directeur-programmateur du cinéma de La Ferme du Buisson, est décédée avant qu’il soit finalisé. Sophie Fillières, l’endroit de l’envers est donc publié à titre posthume, de manière synchrone avec la sortie sur nos écrans de Ma Vie Ma Gueule, le dernier film de Sophie. Dont elle avait terminé le tournage avant d’être hospitalisée, et dont elle avait confié le montage à ses collaborateurs et à ses enfants, qui sont donc à leur tour interviewés pour parler de ce film.
On pourrait imaginer que ce contexte confère à L’endroit de l’envers une touche sombre, voire larmoyante, pourquoi pas hagiographique… mais les auteurs (et l’éditeur, Playlist Society) sont trop intelligents pour tomber dans ce panneau. Mis à part le dernier interview, logiquement, rien dans ce joli livre ne parle de Sophie Fillières « au passé » : autrice aussi fantaisiste que… dépressive (comme le montre son dernier film, plus dans l’autofiction que les précédents), Sophie était une formidable créatrice de moments farfelus, légers, enthousiasmants, qu’elle utilisait de manière extrêmement maîtrisée pour construire une vision « grave » de l’état du monde, de la société et de l’être humain. Pas question donc de se fourvoyer dans un contresens total par rapport à la force de vie romanesque qui a toujours porté son art !
On se régale donc au fil des 140 pages de l’intelligence aigüe de Sophie Fillières, qui semble toujours rechercher des manières inédites de raconter ses histories singulières (Sophie a toujours écrit ses scénarios, avec une approche très particulière, qu’on découvre ici !). Et qui expérimente à chaque film de nouvelles formes pour les mettre au service de ce qu’elle veut faire passer, faire ressentir, dans ce cinéma qui est tout sauf égocentrique, mais au contraire totalement tourné vers nous, spectateurs.
Finalement, la seule chose triste ici, c’est que nous ne verrons plus de nouveau film de Sophie Fillières. Par contre, nous pourrons retourner voir ceux qui existent, mieux armés après la lecture de L’endroit de l’envers pour en saisir le sel.
[Critique écrite en 2024]
Créée
le 21 sept. 2024
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