Paru à nouveau chez Gallmeister (Totem n°188), j'ai abordé ce recueil de nouvelles sans rien en attendre.
La première Sortis des bois, que je lis lors d'un trajet court en train, me jette d'emblée dans une famille nombreuse, je ne comprends pas qui est qui, le type part chercher un mec dans un autre état. Bref, je ne comprends rien. Mais je suis prise par la beauté de la solitude du mec face à la mort, face à la vie, face au désir.
J'arrive chez moi, je pose le livre dans un coin. Le lendemain, je me dis qu'il n'y a que 8 nouvelles, ça se lira sur le week-end. Ni une ni deux, je m'y plonge. Je découvre les "Melungeons" et leur règlement de comptes qui dure depuis trente ans.
Dans Moscow, Idaho, on suit deux ex-taulards qui ont pour mission de sortir de terre des cercueils afin de les transférer dans un nouveau lieu de sépulture. C'est glauque, mais ça laisse la place à une réflexion sur la prison, le temps "Il se fit la réflexion que le temps n'avançait pas, comme il l'avait toujours cru. En fait, c'étaient les gens qui avançaient dans le temps", méditons là-dessus tiens !) la liberté, la mort, et encore une fois : la vie.
Deux cent onze partout fait référence aux codes utilisés par les policiers lors des patrouilles. La femme d'un type est obsédée par son scanner et écoute à longueur de temps les appels radios des patrouilles. Elle ne le regarde plus, ne le voit plus. Il sort de chez lui et trouve une idée pour attirer son attention.
De l'eau dans tous les sens montre la promptitude des forces de l'ordre à accuser les étrangers de tous les maux de leur charmante bourgade. Un chauffeur routier loin de son état se retrouve embourbé dans une ville où la rivière est en crue. Une rencontre, un bref passage dans une vie, dans une ville.
Mais c'est Chouette rayée qui m'a cueillie l'air de rien. Deux hommes ont quitté leurs collines, le Kentucky. Les deux sont des solitaires. Ils s'apprivoisent lentement, en douceur. Au coeur de l'une de leurs interactions, une magnifique chouette rayée, trouvée en bord de route, morte. La fin de cette nouvelle, ces quelques mots sur Tarvis, pffiou, le serrement de coeur.
Exercice de tir raconte le lien père-fils. On est dans le pays des hillbillys et des rednecks, ça se parle mal... et encore... quand ça se parle ! C'est âpre, c'est flippant, c'est pas loin de ce que peut écrire David Vann. On monte en puissance sur la fin de ce recueil.
Et la dernière Epreuve de force, nous montre quelques heures de la vie d'un jeune couple fauché comme les blés, prêts à se battre dans un concours de boxe pour gagner un peu d'argent "je suis resté planté là un long moment en pensant qu'avoir de l'argent donne de la liberté, mais que gagner cet argent enlève de la liberté." Mais un troisième larron se pointe et ... (je vous laisse découvrir, non ?)
J'ai préféré Chouette rayée, qui m'a vraiment eu par surprise, tant sa description du sentiment humain était précise et si bien dessinée.
Je fais partie des rares personnes qui apprécient le travail qu'exige une nouvelle. La concision et la précision sont de mise. La chute n'a pas besoin d'être surprenante. Mais Chris Offutt réussit brillamment à nous plonger dans des atmosphères lourdes, chargées de solitude, de tristesse, de misère humaine. Ce n'est pas larmoyant ni pathétique, ça sonne réaliste, tant dans les dialogues que dans les attitudes de ces types qui n'ont pas la vie facile dans cette Amérique profonde, si profonde qu'on a tendance à oublier que tout ne va pas aussi vite dans ces contrées éloignées que dans les grandes villes.
Ça m'a touchée, parce que c'était beau dans son authenticité.