Après un premier roman de fantasy tonitruant (Watsburg pour ne pas le nommer), retour aux affaires pour Cédric Ferrand avec Sovok, ouvrage de SF se déroulant à Moscou dans un futur proche.
On y suit un jeune homme, Méhoudar, qui a quitté son Birobidjan natal (un territoire autonome juif situé en Extrême-Orient russe) pour gagner sa vie. Après un court passage dans l'armée, il postule pour un poste d'ambulancier chez Blijni, une société privée russe de prise en charge des patients en urgence.
Dés lors, le roman devient une plongée dans le quotidien du trio d'urgentiste que vont former Méhoudar et ses deux "tuteurs" dans l'entreprise. On y découvre donc par petites touches une ville à genoux, sujette aux coupures de courant, plongée dans un profond dénuement, où la corruption et les trafics en tout genre sont le lot quotidien des habitants. Ça et la crainte permanente de la Milice, qui fait régner l'ordre avec l'arbitraire subtil d'une force de police omnipotente.
Sous-équipés, concurrencés par les sociétés européennes de soin (au matériel supérieur), et poussé à faire du chiffre (comprendre : facturer au maximum leurs patients) par leur patron, leur travail apparaît rapidement comme ingrat, désespérant et même parfois frustrant.
Comme c'était le cas de Wastburg (faut-il y voir un signe ?), c'est davantage le portrait d'une ville et de ses habitants qui se dégage de ces pages, même si Méhoudar gagne, au fil des pages, en consistance, passant de jeune provincial effacé face à ses aînés, à médecin en devenir décidé à se rendre utile pour son prochain. C'est pour le coup une des différences avec Wastburg : cette fois-ci, il y un personnage principal, qui fait figure de héros.
Ce qui se dégage de ce roman, plus que son histoire, ou plutôt sa suite d'évènements tant la narration semble de prime abord ne rien raconter de précis, c'est le profond humanisme qui se dégage de son trio médical et de toutes les personnes qu'ils rencontrent et tentent (parfois difficilement) de secourir.
Leurs interventions, faites de bricolage (à cause du manque de matériel et de médicaments), de mise aux enchères de leurs patients "juteux" auprès des hôpitaux ou de trocs et arrangements avec les patients ou leur famille pour compléter leur salaire de misère, dressent le tableau d'une médecine tiraillée entre sa mission première, le soin, et les contingences quotidiennes qui l'emportent sur cette dernière.
Tout cela sonne comme un sinistre avertissement sur les dérives d'un système médical financiarisé et laissé à l'abandon par les pouvoirs publics. Le choix du cadre russe n'est en cela pas anodin, car ce pays incarne mieux que n'importe quel autre le passage d'un État où les pouvoirs publics étaient omnipotents à une économie de marché effréné et sauvage où, de fait, les services publics ont subi des coupes budgétaires drastiques.
Bon, après ça reste mon ressenti, je ne suis pas dans la tête de Cédric Ferrand, mais je vais voir s'il n'y a pas moyen de dégoter une interview ici où là pour voir ce que lui en dit.
Un roman bien différent en tout cas de Wastburg, même si on y trouve quelques points communs : l'humour grinçant déjà, mais aussi des personnages qui s'effacent au profit d'une ambiance, d'une ville.