Spirale d'artillerie par madamedub
Dans les autres ouvrages d'Ignacio Padilla que nous avions découverts sur ce site, (« Amphytrion« , « L »impossibilité des corbeaux » – critiques à lire également sur notre site), on retrouve fréquemment un personnage en quête identitaire, ou déchu de sa gloire de jadis, qui se retrouve confronté à diverses péripéties l'entraînant dans un abîme d'espace-temps confus. Confusion, souvent générée ou amplifiée par l'usage de drogue, ou d'alcool, provoquant une errance mentale qui torture d'autant plus l'avancée du récit.
Padilla est un grand auteur littéraire, classé récemment par la revue Lire comme l'un des 50 auteurs à retenir pour l'avenir.
Ici, le narrateur est un homme fini ; ancien médecin pendant l'ère soviétique, il deviendra le jouet des puissances politiques, un imposteur malgré lui. Pris sur un malentendu pour un indic, il sera durant toute sa vie suivi, et impliqué dans les affaires de la police d'Etat.
Tenaillé par une culpabilité non moins réelle de délations fictives et de malentendus effectifs, il cherche vainement à se rattraper, ou du moins à exister réellement dans une réalité définitivement biaisée par de mauvais concours de circonstances.
Mais la spirale infernale va plus vite que les efforts désespérés du narrateur pour se sortir d'un enchaînement de délations et de mensonges. Après avoir fait revivre, pour se protéger des attentes d'un capitaine de la police avide, un terroriste mort depuis des années, la machine semble lancée pour broyer le réel, les hommes et l'histoire. Et les attentes que l'on a du réel deviennent tout à coup plus vraies que le réel lui même.
Délirant sous l'effet de drogues – que l'Etat lui procure- le narrateur survole son histoire comme un étranger, un anonyme, un imposteur de l'histoire comme les guerres et les crises sociales savent si bien en créer.
Le lecteur accompagne cet anti héros dans ces zones de pénombre de la cité où il tente de fuir ce destin qu'on lui a imposé: des ports malfamés et leurs bordels plus accueillants que les services publics, des prisons obscures et des bidonvilles insalubres...Chaque personnage rencontré n'est pas celui qu'il prétend être, et se fond dans un marasme brumeux. On perd finalement le contact avec cet homme sans nom qui nous narre un récit sans chronologie.
Ignacio Padilla sait bien raconter ces récits d'hommes piégés par les faits et les évènements, il manie le sens du tragique et la fiction sur toile historique.
Une ultime question demeure: lorsque l'homme n'habite plus d'espace commun, qu'il n'est plus reconnu par ses semblables, qui pourrait dire qu'il existe encore?
Un roman digne du grand maître mexicain.
Emma Breton