Le premier vrai choc artistique est toujours suivi d'une intense période de recherche. Je me souviens qu'après avoir visionné pour la première fois Kiki la petite sorcière, j'ai longtemps cherché à comprendre comment Miyazaki avait pu arriver si loin, si haut. La lecture de Starting Point a eu pour moi quelque chose de très personnel, mais elle parlera bien sûr très largement à ses fans ainsi qu'à ceux qui comme moi voudraient percer le mystère.
Starting Point (et sa suite, Turning Point) est ce graal, la compilation de toutes les interviews que Miyazaki ait jamais données, publiée en deux tomes et traduite en anglais par Viz.
Dans ce premier tome, Miyazaki, quoique ayant déjà une solide expérience, n'est pas encore le réalisateur de renom que l'on connaît aujourd'hui, années formatrices obligent. Les interviews de l'époque le reflètent assez bien : ce n'est pas l'artiste révéré que l'on interroge, mais l'animateur doué prêt à partager une opinion ou deux sur un point technique, un collègue ou une tendance de fond. Même une fois connu (Nausicaä a été très rapidement remarqué par le public et la critique), Miyazaki rentre très peu dans les considérations personnelles qu'on attendrait d'une biographie détaillée ou d'un tome de La vie secrète de monsieur le dessinateur. C'est d'ailleurs une excellente chose.
C'est pour moi cette approche qui fait l'échec de beaucoup des "portraits" d'aujourd'hui. A force de se concentrer sur la vie privée des grands noms, on oublie souvent que ce qui nous attire chez eux en premier lieu... c'est leur travail. Et quand il s'agit de Miyazaki, on ne va pas beaucoup plus loin chez lui que le seuil de la porte sans se prendre une aimable mais solide rebuffade.
Le principal reproche qu'il faudrait faire à Starting Point serait son choix d'une publication chronologique, donc sans thème central, et le manque de mise en contexte qui en résulte pour le lecteur peu averti. Sur quel film Miyazaki bossait-il en 1985 ? Était-il marié ? Tout se succède sans se suivre et on a du mal à trouver dans Starting Point un récit ou une évolution dans la pensée de Miyazaki qui nous permettrait de mieux le comprendre.
C'est à croire que cet étrange bonhomme a toujours été le même entre 1979 et 1996, travailleur acharné, ne mâchant pas ses mots (lisez son très court hommage écrit à la mort d'Osamu Tezuka, impitoyable dans son honnêteté) et surtout d'une intransigeance totale vis à vis de lui-même ou de ses collègues. Il identifie très tôt le moe, par exemple, comme l'un des cancers qui finira par ronger l'animation japonaise, et c'est dans ce genre de commentaires que l'on retrouve son éthique de travail rugueuse, honnête et si terriblement humaine. Après la lecture de Starting Point je ne vois plus Miyazaki comme un génie insaisissable, mais comme un artisan patient et obstiné qui a su grandir dans un milieu où il est facile d'être médiocre. Ses pensées sont solides et honnêtes, ses références saines, classiques, très maîtrisées. Il y a en lui beaucoup de points communs avec Saint-Exupéry, dont il aime la lecture. Il admet ses doutes mais tape tout de même du poing sur la table quand il le croit nécessaire. Je ne suis pas d'accord avec lui sur certains points ? Quelle importance. En sept mots, voilà ce que je pense de lui, et ce que disent sans doute ses collègues autour d'une bière après une journée tendue. Ils discutent, rigolent peut-être, puis l'un d'eux dit, et tous les autres hochent de la tête :
"Monsieur Hayao Miyazaki est un homme bien."
Et c'est le plus grand compliment que l'on puisse faire à cet homme formidable.