Retour de lecture sur “Sukkwan Island” un court roman de l’écrivain américain David Vann, publié en 2009. Ce livre raconte l'histoire de Jim, un dentiste malheureux, qui après deux mariages ratés aimerait repartir de zéro. Il se débarrasse ainsi de son cabinet de dentiste pour acheter un terrain et une cabane dans un endroit complètement isolé d'une île d’Alaska appelée Sukkwan Island. Pour se rapprocher de son fils de 13 ans qu’il a beaucoup négligé, il propose à celui-ci de l'accompagner pour une année d'aventure sur cette île, en pleine nature sauvage, pour vivre uniquement de chasse et de pêche. Le fils n’est pas emballé mais accepte pour faire plaisir à son père qu’il sait fragile, et plus indirectement à sa mère. Dès le début on se rend compte que ce père n’a absolument pas le niveau pour une telle aventure et qu’il est très mal préparé. Il apparaît complètement perdu, dépressif, dépassé par sa vie, égoïste et immature. Ses carences sont abyssales. Les rôles s’inversent très vite, et ce sera au fils de supporter la dérive de son père. Tout ira de plus en plus mal et cette aventure finira par basculer sur un drame incroyable. Le quotidien de ce couple père-fils se passe donc dans de grands espaces, sur une île d’Alaska, loin de toute civilisation, à chasser des ours et des élans, à pêcher le saumon et à préparer le bois pour l'hiver. Il y a donc clairement une dimension "nature writting" dans ce roman, mais très vite l’auteur oriente le roman vers une dimension beaucoup plus psychologique. La nature n’est alors plus là que pour isoler ces deux personnages dans un huis-clos angoissant et ainsi créer une ambiance très tendue et asphyxiante. David Vann nous livre là une œuvre passionnante, d’une incroyable noirceur, glauque et désespérante. On a l’impression d’évoluer dans un cauchemar et pourtant le tout a un aspect très réaliste qui accentue encore sa portée et lui donne un côté vraiment dérangeant. Le portrait de ce père est impressionnant, on est désespéré par cet homme totalement à côté de la plaque, dépassé par ses limites et qui passe totalement à côté du but de cette aventure qui était de se rapprocher de son fils. Ce père est pathétique, confronté à une réalité difficile, il bascule vite dans ses comportements égoïstes habituels et fuit ses responsabilités. Ce livre est dédié au père de l’auteur Edwin Vann qui mit fin à ses jours à l'âge de 40 ans, il ne faut probablement pas chercher très loin son inspiration. Le grand point fort de ce roman réside dans le style, la manière dont l’histoire se met en place et se déroule sur cette île. La première partie, particulièrement réussie, est magistrale. C’est un véritable coup de poing, quelque chose d'époustouflant. Elle seule justifie largement la lecture de ce livre. La deuxième partie, notamment la fin, est malheureusement plus décevante, l’auteur ramène le roman sur quelque chose de beaucoup plus quelconque et dont la crédibilité est discutable. On s’interroge également sur l'intérêt de tout cela, on ne comprend pas vraiment où l'auteur veut en venir. Le message n'est pas clair, voire inexistant. Il faut se reporter à la biographie complète de l’auteur, disponible sur internet, pour comprendre que tout cela est avant tout un exutoire, une thérapie. Un autre reproche qu’on peut faire à ce livre, c’est qu’on ne respire jamais, on est constamment en apnée, plongé dans la noirceur totale et désespérante de ce récit. Heureusement que c'est court, mais que c'est noir, trop noir…à éviter absolument si vous n’avez pas le moral. Pour conclure, c'est un livre original, bouleversant, d’une beauté et d’une douleur très particulières et rares, qui malgré ses quelques défauts reste une lecture incontournable.
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"A travers la ramure des arbres, il aperçut quelques étoiles pâles, mais bien plus tard, après que le ciel se fut découvert. Il avait froid et il frissonnait, son coeur battait toujours, la peur s'était ancrée plus profond, s'était muée en une sensation de malédiction, il ne retrouverait jamais la route vers la sécurité, ne courrait jamais assez vite pour s'échapper. La forêt était horriblement bruyante, elle masquait même son propre pouls. Des branches se brisaient, chaque brindille, chaque feuille se mouvait dans la brise, des choses couraient en tous sens dans le sous bois, des craquements bien plus lourds aussi, un peu plus loin, sans qu'il sache vraiment s'il les avait entendus ou imaginés. L'air de la forêt était épais et lourd, il se fondait dans l'obscurité comme s'ils ne faisaient qu'un et se ruait sur lui de tous côtés.
J'ai ressenti cette peur toute ma vie, pensa-t-il. C'est ce que je suis."