Critique de Shaynning

Cet album jeunesse au dessin magnifique s'inscrit dans ces œuvres qui mettent de l'avant la diversité ethnique dans la littérature jeunesse avec Sulwe, une jolie demoiselle qui a une peau aussi sombre que le ciel en pleine nuit. D'ailleurs, chaque membre de sa famille incarne un pan de ciel différent: sa sœur a le teint du ciel en plein jour, sa mère, celui de l'aube et son père celui du crépuscule. Mais Sulwe se sens vivre dans l'ombre, car c'est sa sœur que l'on préfère. Complexée, désespérée d'être seule sans amies, Sulwe tente même de clarifier sa peau, avec du maquillage, en gommant sa peau avec une efface ou même, en mangeant des aliments pâles. Même la sagesse de sa mère, qui explique que la beauté est intérieure et de toutes nuances, ne trouve pas écho chez la jeune fille. Une nuit pourtant, Sulwe reçoit la visite d'une étoile filante. Celle-ci la conduit sous le ciel étoilé et entreprend de lui livrer l'histoire des sœurs Jour et Nuit.

Jour et Nuit étaient proches l'une de l'autre malgré leur grande différence physique. Jour est lumineuse et dorée, elle éradie le soleil. Nuit est sombre et d'un mauve astral profond, elle apporte les ténèbres. Les humains vénèrent Jour et boudent Nuit, jusqu'à ce que cette dernière, lasse d'être la paria, quitte le monde des humains. Les jours ne connaissent plus de fin, les plantes se dessèchent. Bien vite, il est évident que Nuit leur manque, mais jamais autant qu'à Jour. Elle part retrouver Nuit afin de la ramener, cette fois convaincu que les humains ont comprit les grandes qualités de nuit, qui n'a pas à changer pour être acceptée. Désormais, Jour portent les ombres de Nuit et Nuit porte la lumière de la lune, des étoiles et même de certaines plantes bioluminescentes. Il existe donc un peu de chacune dans l'autre.

De cette histoire, Sulwe comprend qu'on apporte au monde sa propre unicité et qu'en étant fidèle à soi-même, c'est au bénéfice du monde.

Il existe deux messages étroitement liés dans cette histoire: l'acceptation de son propre physique ( sa "beauté") et la normalisation de la diversité de couleurs de peau. Un double standard, en somme. Pour les petites filles comme pour les femmes, atteindre les standards esthétiques est déjà un enjeu social, mais lorsqu'on le combine à la distinction des couleurs, le problème s’aggrave. Ici, on fusionne un peu des deux: Sulwe se sens moins "belle", moins désirée socialement parce que sa peau est plus foncée que celle des autres. Mais le message de Lupita Nyong"o couvre plus large: il faut tenir aux petites filles le discours positif selon lequel il n'existe pas de beauté plus ultime que la sienne propre. Une beauté qui transcende le regard des autres, qui part de soi vers les autres. La maman de Sulwe tient justement ce discours.
J'ai beaucoup aimé l'histoire des sœurs, car elle illustre la complémentarité de toute dyade. Ici, l'autrice a fait le choix de l'illustrer avec deux déesses aux allures africaines , vraiment magnifiques avec leurs tresses, leur costume et leur aura nuageuse dans les cheveux. J'ai beaucoup aimé le fait que c'est leur amour l'une pour l'autre qui a fait la différence, plus que l'opinion des humains. Après tout, n'est-ce pas le regard des gens qu'on aime qui importe? C'est eux qui savent généralement voir au-delà de notre physique, comme Jour a vu à travers Nuit bien plus que les humains.

Finalement, le rendu visuel est superbe, riche en couleurs, en contrastes et en lumière. Le parallèle entre les couleurs de peau et les différentes combinaisons de lumière entre jour et nuit est formidable, très bien trouvé. Une allégorie qui, ma foi, est facile à utiliser auprès des jeunes enfants. Un album très pertinent, créatif et porteur d'espoir.

"Sulwe", c'est-à-dire "Étoile", est une petite fille qui fera certainement rêver beaucoup de petites filles, de toutes les couleurs et de tous les âges.