Autant parler de Gummo tout de suite, hein. Si je n’avais pas vu Gummo, je n’aurais pas su qui est Harmony Korine. Et si je ne tenais pas ce film pour un des trois meilleurs que j’aie jamais vus, je n’aurais sans doute pas jeté davantage qu’un coup d’œil à Sur fond d’émeutes. Manifestement, dans les années 1990, raconter une histoire ne figurait pas parmi les priorités de Korine : son film ne racontait déjà pas grand-chose, son roman ne raconte pratiquement rien.
Je ne crois qu’il soit arbitraire ou artificiel de rapprocher les deux. Visualisez un instant la galerie d’incroyables paumés que constituaient les figurants de Gummo, y compris les rôles minuscules, puis lisez ceci : « Le coiffeur : Si vous voulez mon avis, moi je vous dis que la dernière vogue c’est des lignes sur le côté, rasées parallèles à une seule ligne oblique rasée dans le sourcil, et on laisse toute la longueur jouer librement sur la nuque de façon à draper les épaules, mais alors sans pattes, bien dégagé sur les côtés. » (p. 137).
Rappelez-vous ces images d’archives et ces vrais-faux témoignages qui parsèment le film, notamment au début, puis prenez une fois d’ado sous trichlo pour lire « Il estimait être un personnage complexe. Peut-être digne d’une nouvelle. Sa maîtresse du cours moyen le trouvait terne et borné. Elle était dyslexique » (p. 111). Vous saisissez ?
Ce roman qui s’apparente davantage à un ensemble de fragments aux liens plus ou moins ténus présente les mêmes procédés que Gummo : ce patchwork d’images qui ne signifie rien d’autre qu’elles-mêmes et qui cependant font sens, cette exploration du fond des États-Unis naviguant entre folie et sensibilité, entre inceste et désemparement, entre névrose et tendresse.
Une section de Sur fond d’émeutes, pas la moins bonne, s’intitule « Dix atrocités ethniques pour la jeunesse : tableaux », et je crois qu’il faut lire ce livre comme un ensemble de tableaux. C’est ce qui en marque d’ailleurs les limites, d’autant que tout n’est pas aussi marquant qu’un apologue tel que « Dans un strip-tease où j’étais, j’ai vu une nana enceinte de huit mois se déshabiller sur scène. Elle avait un masque chirurgical. Lorsque je lui ai demandé pourquoi, elle m’a regardé et m’a répondu que c’était un environnement malsain » (p. 23). Il y a pas mal de passages qui manquent de puissance, ou que leurs références à une culture exclusivement états-unienne (si, si !) ne rendent pas toujours clairs.
Ça, je crois que je l’aurais pensé sans avoir vu Gummo.