«L’artiste n’a pas d’autre objet que lui-même. Voilà, me dis-je, la conclusion qu’il me reste à mettre en pratique. Maintenant que j’ai compris mon véritable rôle, il ne dépend que de moi d’être mon propre matériau. Et puisque la forme qui m’habite détermine aussi mon rang, je verrai bien à quelle hauteur mon bluff m’élève.»

Dans un très beau village italien sur le flanc d’une falaise, progressivement envahi par les touristes et le béton, le narrateur - un sculpteur qui vit dans la maison tout en haut de cette falaise, un homme habité d’un dégoût corporel pour le corps féminin, et d’une fascination érotique pour le découpage de la viande et les lames qui la tranchent - s’est mis à douter de son art et à devenir glabre, perdant par poignées ses poils et ses cheveux. Pour lui-même et ses chiens, quatre dogues inquiétants, il est sans doute le meilleur client du boucher, aimanté par son regard fixe et la précision de ses gestes d’artiste pour tailler la viande.

«Ses bras m’impressionnaient : musculeux et puissants, comme directement nourris de la viande crue qu’ils étreignaient. La peau des avant-bras avait la couleur de l’ivoire, dissimulée à l’extérieur par un duvet noir et soyeux, nue de l’autre côté ; passé le coude, elle devenait lisse et blanche comme peut l’être le sein d’une femme.»

Dans ce cadre naturel grandiose, dont la beauté semble surgir du chaos originel, un drame se déroule, un double meurtre, et le sculpteur rattrapé par ses névroses s’approche toujours plus prêt du bord du gouffre.

Chargé d’un érotisme corrompu, «Sur la falaise» est un récit magnétique et dérangeant, à moins que ce ne soit une métaphore sidérante de l’ambition et de la condition de créateur.
MarianneL
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le 8 déc. 2013

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