Marcel(s)
J’ai lu « Sur la lecture » dans un de ces étranges « livres », faits de feuilles A4 pliées dans un protège-cahier, publiés par les éditions Marguerite Waknine. Il est intitulé Lectures et propose,...
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le 2 mai 2020
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J’ai lu « Sur la lecture » dans un de ces étranges « livres », faits de feuilles A4 pliées dans un protège-cahier, publiés par les éditions Marguerite Waknine. Il est intitulé Lectures et propose, outre le texte de Proust, un autre essai d’un autre Marcel : « Il libro della mia memoria ». Outre qu’ils datent de 1905, ils accordent une large part aux lectures d’enfance – c’est même le propos principal de celui de Schwob. (Cette critique porte sur les deux textes, qui du reste peuvent être lus à l’œil sur internet.)
Au final, si cette cohabitation de Marcel et Marcel est réussie, c’est aussi parce qu’elle montre aux petits défenseurs de petites chapelles littéraires que deux auteurs qui n’ont pas le même style peuvent parler de lecture avec la même intelligence. (L’auteur de cette modeste critique préfère Schwob, question de sensibilité, mais n’a rien contre Proust.)
On pourrait s’attendre à ce que les lectures d’enfance de deux auteurs nés en 1867 et 1871 n’aient plus rien à nous dire. Et en effet, qui en 2020 considère le Capitaine Fracasse de Théophile Gautier comme un livre pour enfants d’un auteur pour enfants ? Mais Schwob a aussi lu « Robinson, Barbe-Bleue et Aladdin » – c’est le titre d’un chapitre –, soit trois personnages dont les noms sont connus par la plupart des gamins de dix ans. C’est aussi que les personnages parlent plus aux enfants que les auteurs – surtout quand les auteurs sont inconnus.
Et ce que Marcel et Marcel retiennent de leurs lectures d’enfance, ce sont des situations (1). C’est Proust agacé d’être interrompu par la bonne, ou affreusement déçu parce que les personnages, « ces gens pour qui on avait haleté et sangloté, on ne les verrait plus jamais, on ne saurait plus rien d’eux » (p. 26) ; c’est Schwob se rappelant : « je m’enfermais au grenier pour lire un voyage au Pôle Nord, en mangeant un morceau de pain sec trempé dans un verre d’eau. Probablement j’avais bien déjeuné. Mais je me figurais mieux prendre part à la misère de mes héros » (p. 12)… Et l’on retrouve cet attachement aux personnages.
Ces Lectures écrites par deux trentenaires proposent leur lot de petites madeleines. J’imagine que nous sommes plusieurs à avoir tenté ce que Schwob raconte, non sans humour : « couché sur le ventre, le menton soutenu par les coudes, j’aspirais les mots. Jamais je n’ai lu plus délicieusement. Il n’y a pas longtemps que j’ai essayé, un soir, de reprendre ma vieille position de cinq heures. Elle m’a paru insupportable » (p. 9). C’est encore plus détaillé chez Proust, au point que le livre Sésame et les Lys de Ruskin, à la traduction duquel « Sur la lecture » est censé être la préface, passe au second plan, prétexte encore à des digressions sur l’ameublement ou sur ce que lire apporte aux lecteurs.
Enfin, l’enfance telle qu’elle racontée dans ces deux essais, on peut rétrospectivement la lire à la lumière de ce que leurs auteurs sont devenus. C’est criant pour Proust, tant certaines pages semblent – stylistiquement, thématiquement, esthétiquement – tirées d’À la Recherche du temps perdu. Mais même dans le cas de Schwob, « Le vrai lecteur construit presque autant que l’auteur : seulement il bâtit entre les lignes. Celui qui ne sait pas lire dans le blanc des pages ne sera jamais un bon gourmet de livres. » (p. 12) : celui qui écrit cela, c’est l’érudit qui contribua à la connaissance de Villon, et c’est aussi le conteur, l’auteur d’histoires écrites de façon à ce qu’on les lût aussi entre les lignes.
(1) Et bien sûr, autour du parfum de la madeleine, il y a ce que ces deux textes ne disent pas explicitement : ce sont deux enfances de petits garçons blancs de la bourgeoisie française au début de la IIIe République.
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le 2 mai 2020
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