«On peut sans exagération affirmer que la tentative pour prendre le contrôle de nos propres vies est un trait essentiel de l’histoire du monde, qui a connu un crescendo au cours des derniers siècles, marqués par des changements spectaculaires tant dans les relations humaines que dans l’ordre mondial.»

Publié en France aux éditions Allia, ce court texte d’une cinquantaine de pages est une conférence donnée par Noam Chomsky en février 2000, sur la prise de contrôle de nos vies, c'est-à-dire comment, dans un monde dominé par des sociétés multinationales et des institutions internationales qui servent leurs intérêts, la souveraineté des états, la liberté et les droits de l’homme sont devenus subordonnés au droit des entreprises et des investisseurs.

Depuis les années 1970-1980, les mesures sociales démocratiques qui avaient considérablement amélioré le niveau de vie après-guerre ont été démantelées aux Etats-Unis, et les droits des gens sont devenus secondaires par rapport aux droits des entreprises et des investisseurs, organisations libres de se déplacer quand les individus ne le sont pas, et bénéficiant maintenant de droits spéciaux qui dépassent et prévalent sur ceux des personnes. Ce sujet reste d’une actualité brûlante, notamment avec les discussions actuelles sur le traité transatlantique.

On nous martèle chaque jour que le capitalisme mondialisé est sans alternative (There is no alternative, avait dit en son temps Margaret Thatcher), alors que les gens voient leurs espérances et leur sérénité souvent anéanties dans un ordre mondial où la politique est devenue «l’ombre jetée par les grandes entreprises sur la société», où les marchés financiers fluctuent de façon erratique avec les conséquences dévastatrices que nous connaissons, et où l’actualité nous fournit chaque jour des preuves que les effets négatifs sur autrui sont considérés comme secondaires par les puissants.

Un des moyens de convaincre et d’enrégimenter le peuple consiste à développer une envie insatiable de consommation et de divertissement, et en même temps à saper la sécurité des individus, une prise en tenailles qui génère une grande insécurité, parfaitement illustrée ici par les mots combinés d’Edward Bernays et d’Alan Greenspan.

«Au XXe siècle, l'industrie des relations publiques a produit une abondante littérature qui fournit une très riche et instructive réserve de recommandations sur la façon d'instiller le "nouvel esprit de l'époque", en créant des besoins artificiels ou en (je cite) "enrégimentant l'opinion publique comme une armée enrégimente ses soldats", en suscitant une "philosophie de la futilité" et de l'inanité de l’existence, ou encore en concentrant l’attention humaine sur « les choses les plus superficielles qui font l’essentiel de la consommation à la mode» (Edward Bernays). Si cela réussit, alors les gens accepteront les existences dépourvues de sens et asservies qui sont leur lot, et ils oublieront cette idée subversive : prendre le contrôle de sa propre vie.»

«Alan Greenspan a déclaré devant le Congrès qu’une «plus grande insécurité du travailleur» était un facteur important dans ce qu’on appelle «l’économie de conte de fées». Elle maintient l’inflation à un bas niveau, les travailleurs n’osant pas réclamer d’augmentations et d’avantages sociaux. Ils sont en situation d’insécurité.»

Noam Chomsky nous incite à penser qu’une alternative existe, notamment sur la façon de considérer la dette, et qu’on peut modifier les décisions et les institutions, même si un des obstacles qui apparaît clairement est le contrôle du pouvoir politique par le pouvoir financier, problème encore plus aigu aux Etats-Unis que de ce côté-ci de l'Atlantique.
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le 30 juin 2014

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