Quand un styliste rencontre un autre styliste…

… qu’est-ce qu’il raconte ? Des histoires de style ! Y compris dans un article de circonstance qui se place dans le cadre d’une mini-querelle autour du style de Flaubert – c’est-à-dire autour de Flaubert… Et on imagine le frisson de plaisir qui a dû saisir Proust qui, défendant le style de l’auteur de Madame Bovary contre les accusations d’incorrection portées contre celui-ci, s’autorise une minime discordance rythmique et syntaxique telle que « Flaubert, si au lieu de ses personnages c’était lui qui avait parlé, n’aurait pas trouvé beaucoup mieux » (p. 7 de la réédition des Éditions Sillage)… Proust a prévenu en préambule :  « Ce n’est pas que j’aime entre tous les livres de Flaubert, ni même le style de Flaubert. » (p. 6). Pourtant ça ne se voit pas.
Du reste, l’avis porté sur l’ours de Croisset par la crevette asthmatique de la rue de l’Amiral-Hamelin est presque touchant : « il n’est pas possible à quiconque est un jour monté sur ce grand Trottoir roulant que sont les pages de Flaubert, au défilement continu, monotone, morne, indéfini, de méconnaître qu’elles sont sans précédent dans la littérature » (p. 8). Ce qui sous la plume d’autrui eût été un meurtrier éloge – ce « sans précédent » très langue-de-pute, oui… – est sous celle de Proust une marque d’admiration sincère.
Quant aux analyses, elles sont la plupart du temps extrêmement justes. Leur formulation est certes datée, puisque de 1920, mais plus d’un lecteur régulier de Flaubert, plus d’un spécialiste universitaire actuel, y retrouveront des remarques qu’ils auraient pu exprimer différemment, par exemple sur ces phrases qui, « en permettant de faire jaillir du cœur d’une proposition l’arceau qui ne retombera qu’en plein milieu de la proposition suivante, […] assuraient l’étroite, l’hermétique continuité du style » (p. 9-10) ou sur « les adverbes, locutions adverbiales, etc., [qui] sont toujours placés dans Flaubert de la façon à la fois la plus laide, la plus inattendue, la plus lourde, comme pour maçonner ces phrases compactes, boucher ces moindres trous. » (p. 23-24).
Sur le style de Flaubert par Proust, c’est l’hommage d’une dentellière à un maçon.

Alcofribas
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le 3 juin 2017

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