Le livre de Foucault part d'un constat historique. Entre la fin du 18ème et le début du 19ème siècle un changement radical s'est produit dans les techniques de punition. Avant, on avait le supplice, qui consistait à faire souffrir le condamné lors d'un grand spectacle public (supplice de la roue, écartèlement, bûcher). On va assister à la disparition de ce type de punition pour voir se répandre une forme jusqu'alors peu utilisée : l'emprisonnement.
Pourquoi ce changement ? Comment s'est-il produit ? Telle est la réflexion centrale de ce livre, du moins telle qu'elle est revendiquée par Foucault.
Le philosophe fait ainsi une oeuvre à cheval sur plusieurs genres : histoire bien sûr, mais aussi sociologie et philosophie. Le livre est le résultat d'une recherche documentaire très poussée : chaque argument avancé par l'auteur est renforcé par de multiples exemples issus de textes divers, des rapports, des thèses, et même Le Dernier jour d'un condamné, de Hugo.
Et puis, pour bien comprendre la genèse de cette oeuvre, il faut la replacer dans son époque : multiples révoltes de prisonniers (dont celle d'Attica, en 71, sur fond de revendications raciales, et dont la répression a fait 39 morts), création par Foucault (et Pierre Vidal-Naquet) du GIP (Groupe d'Information sur les Prisons).
Mais Foucault avance masqué. Un livre sur les prisons ? Oui... et non. Le philosophe ne parle qu'assez peu des prisons. Ce qu'il décrit, c'est bel et bien un changement, une transformation, une mutation sociale d'une importance extraordinaire. Comment l'Occident de l'Ancien Régime est devenu le monde "moderne" que l'on connaît actuellement.
A ce titre, la 3ème partie du livre est d'une importance capitale. Elle est peut-être un peu fastidieuse, ce ne sont pas les pages les plus passionnantes du livre, et pourtant c'est le véritable centre de la réflexion du philosophe.
Il décrit dans le détail comment nous sommes passés dans un système disciplinaire basé sur la surveillance et la classification des individus.
Parler du passé permet donc de décrire le présent. Parler des prisons permet de faire le portrait à charge de la société moderne.
La réflexion de Foucault n'est pas exempte d'arrière-pensées et d'engagements politiques. Il décrit notre société comme fondamentalement injuste, basé sur l'injustice. Les lois sont conçues pour protéger les "illégalismes" de la classe dirigeante, la bourgeoisie, en mettant en lumière la délinquance (et en prétendant qu'elle vient uniquement des classes "populaires"). Ces injustices fondamentales permettent à la bourgeoisie d'assurer sa domination de classe sur le reste de la population en justifiant l'existence d'un état policier.
Bien entendu, ce vocabulaire et ces réflexions peuvent choquer certains. Mais nous étions dans les années 70, à une époque où on savait ce que c'était que des intellectuels engagés. Et comme ça correspond plutôt à mes opinions politiques, ça ne m'a pas trop dérangé.
Longtemps j'ai cru que Foucault était difficile à lire. Je n'ai appris que tout récemment l'existence de ce livre, mais j'ai eu tout de suite envie de le lire. Et j'ai bien fait : le philosophe n'est pas du tout difficile à lire ou à comprendre. Au contraire, par l'organisation sans faille de son livre, par les multiples exemples qu'il donne, par la clarté de sa plume, il nous entraîne sur les sentiers de sa réflexion et parvient à nous faire aborder des notions complexes avec talent et limpidité. C'est passionnant et extrêmement instructif.
Après la lecture de ce livre, on ne peut plus regarder notre société comme avant. Et moi, je me suis surpris à réfléchir à mon propre métier, tant on y retrouve dans le détail tous les éléments du "système disciplinaire" décrit par l'auteur.