Le sous-titre de Survivalisme : Êtes-vous prêts pour la fin du monde ? est d’autant plus regrettablement putassier qu’il laisse croire que l’ouvrage est un manuel. Or, ce que propose l’auteur est une étude, pour le moment la seule en français, à l’exception d’articles de presse, et peut-être de publications universitaires pour spécialistes de sociologie. Du reste, le livre adopte aussi la structure d’un manuel : un prologue suivi de quatre parties dont les trois dernières sont intitulées respectivement « Fuir », « Se cacher » et « Combattre ».
Cela dit, la perspective dans laquelle se place l’auteur est claire : « il ne s’agit pas ici de discuter de la validité, de la véracité des croyances apocalyptiques qui animent les individus se réclamant du survivalisme, mais plutôt d’insister sur la manière dont ils définissent ou “interprètent” la situation, c’est-à-dire notre époque » (p. 14). Le projet est alléchant, d’autant qu’il est en effet mené sans alarmisme ni sarcasme. Cela n’empêche pas l’auteur de proposer des réflexions critiques pertinentes, par exemple quand il parle de l’« “enromancement” de la science : convertissant les faits scientifiques en signes et l’accumulation de preuves en scénario » (p. 34), rappelle que le capitalisme « procède par l’appropriation puis la marchandisation de toute contestation » (p. 79) ou précise judicieusement que le survivalisme « constitue bel et bien un passe-temps de privilégié, un loisir de nanti » (p. 183).
Le premier défaut de Survivalisme, c’est qu’on y trouve pas d’appui théorique constant. Le sujet semblait pourtant s’y prêter. Il aurait été intéressant d’aborder par exemple les structures sociales à l’œuvre dans le phénomène du survivalisme – les preppers dans la société, les preppers comme société… Mais l’auteur paraît y avoir renoncé, non par incompétence – les notions convoquées en témoignent – mais plutôt par crainte d’effaroucher son lecteur. Car le livre, oscillant entre la véritable étude sociologique et l’ouvrage plus ou moins « de circonstance » ou « pour les nuls » à destination du grand public (mais quel grand public y a-t-il pour ces livres-là ?), penche à vrai dire plutôt du second côté. (Parallèlement, on y trouve un mépris, implicite mais récurrent, pour le « téléspectateur, affalé dans son canapé, paquet de chips et bière fraîche à portée de main », p. 81).
Le deuxième défaut de l’ouvrage, en particulier dans la partie III, c’est qu’il parle beaucoup d’autre chose que du survivalisme. Certes, la mise en contexte est parfois intéressante, mais n’est pas toujours reliée au thème. Et d’une façon générale, Survivalisme propose pas mal de hors-sujet, en particulier lorsqu’il aborde ponctuellement des analyses empruntées à d’autres : l’« avarice cognitive », l’« idéal-type » de Weber, le « postmoderne » tel que le définit Maffesoli comme « “synergie de l’archaïque et du développement technologique” » (p. 198)…
Peut-être le survivalisme constitue-t-il un domaine trop réduit, qui intrinsèquement ne se prête pas à un regard sociologique pertinent ? Pour en être sûr, il aurait au moins fallu le définir clairement, ce que l’ouvrage ne fait jamais, préférant broder autour de sujets que tout le monde est censé connaître.