Sur l’étagère sont disposées quelques bouteilles. Ether, eau-de-vie de cerise ou simple parfum ? L’absence d’étiquette vous laisse dans le doute.
Le miroir de la salle de bain expose Suzanne et Louise, les confrontent pour la première fois, les confrontent à elles-mêmes et à la vieillesse qui s’accapare d’elles. Louise, placée à gauche, parait songeuse. L’ivresse d’antan à laquelle elle s’était soumise déteint sur son visage pâle, flétri par quelques rides. Avec sa longue chevelure déployée, l’on devine la jeunesse passer en un éclair sur ce miroir, semblable à la ligne fuyante du carrelage qui recouvre le mur, et qui ne tarde pas à s’éclipser dans les ténèbres du souvenir.
Aucune ne peut vraiment réussir à se voir, à accepter de se voir. Louise, sortie du Carmel en retient l’interdiction, c’est ainsi qu’elle baisse religieusement les yeux. Suzanne conserve ce regard sévère qu’elle s’octroie avant tout, c’est une « infirme », une souillure qui « n’a jamais su sourire », qui « n’a jamais dansé », qui ne s’est jamais vraiment aimé.
Vêtues de la même chemise de nuit blanche, coiffées toute pareilles et dans une attitude candide d’enfant prêt à aller dormir, elles inspirent étrangement l’innocence infantile, semblent tout ignorer de la vie même.
Sous l'originalité, trop souvent jugée subalterne, du roman-photo, Guibert immortalise avec aplomb deux existences loufoques : celle de ses tantes.