Sympathies For The Devil, donc. Et Redux, au passage ; lire : nouvelle édition, un brin retravaillée, avec une nouvelle et des commentaires en moins, et deux nouvelles en plus. Pour ce que j'en ai compris, ce serait la première publication (en volume, s'entend) du sieur Day. Un recueil de six nouvelles (donc), paru aux éditions du Bélial', petites mais chouettes, et qui publient accessoirement la fort sympathique revue Bifrost (dans laquelle Thomas Day écrit, par ailleurs). Au programme, en gros : six apocalypses. Miam ! Mais en gros, hein... Etrangement, ça s'annonce pas très joyeux... Mais rock'n'roll, par contre. Et qu'on ne s'y trompe pas : si le dandy démoniaque de la couv' (de Guillaume Sorel à nouveau, qui livre également une illustration intérieure en tête de chaque récit) colle certes bien au thème, c'est ici en pleine science-fiction que l'on va naviguer, teintée à l'occasion d'un léger soupçon de fantastique. Manière de dire que le petit Jésus peut rester peinard chez lui, on ne réclame pas ses services. Loki, par contre... mais j'y reviendrai.

Détaillons un chouia. On commence dans la joie et l'allégresse... pardon, dans le chaos, la pestilence, le stupre et les maladies de peau avec « Une forêt de cendres ». L'Angleterre, dans un futur indéterminé. Ca va pas fort. Autant dire que c'est même Le Gros Bordel, celui contre lequel on ne peut pas faire grand chose, un « cercle de ténèbres » s'étendant progressivement sur le monde et infectant la population d'une étrange maladie. Pour lutter contre ce mal et ses incidences diverses et variées, tous les moyens sont bons ; ça massacre à tout va, quoi. Il en va ainsi pour le sinistre, violent, immoral et charismatique Paul of Perth, duc du Dragonshire, lequel arbore sur son armure (où l'archaïsme le dispute à la plus haute technologie) les répugnants reliquats de ses innombrables victimes. Paul of Perth est atteint par la maladie, et sévèrement perturbé dans sa tête. Il n'attend plus rien de la vie. Reste une seule chose, pour celui qui aime à rappeler qu'il serait un lointain descendant d'Arthur Pendragon : passer de l'histoire à la légende, pour demeurer à jamais dans la mémoire des hommes, quand bien même cela devrait lui être fatal. Or il se pourrait que la jeune reine d'Angleterre lui en fournisse l'occasion ; et Paul of Perth de se rendre dans un Londres lépreux pour y tenir son ultime rôle... Je ne peux guère me permettre ici d'entrer davantage dans les détails, mais l'univers créé pour cette nouvelle me paraît plutôt riche et assez fascinant, fournissant un cadre idéal que moi, perso, ben je serais pas contre de le retrouver un de ces jours, voilà. Ceci dit, cette richesse a un effet pervers, l'intrigue à proprement parler, plutôt convenue, n'étant guère à la hauteur de ce que l'on pouvait espérer après une entrée en matière très attrayante, bien qu'un peu trop précieuse. Je ne serais pas surpris d'apprendre qu'il s'agit là d'un texte de jeunesse, il en a à la fois le charme et les maladresses. Une semi-réussite donc, qui laisse un peu sur sa faim, mais se lit néanmoins avec plaisir.

Je serais bien plus réservé pour ce qui est du second texte, le plus court du recueil, intitulé « A l'heure du loup », avec son homme-arbre et ses gamins tout droit sortis de La nuit du chasseur (en pire) ; vois pas vraiment où c'est donc qu'y voulions en venir, le m'sieur Day, là...

La nouvelle suivante, « L'Erreur », me paraît bien plus réussie, bien qu'assez obscure également. On se prend cependant au jeu de ce cyberpunk sous acide, violent et drôle tout à la fois. Un texte très référencé (mais agréablement : de William Burroughs à Nine Inch Nails en passant par Scarface, entre autres...) et prenant, avec des vrais morceaux de drogue, de skinheads et d'exploits terroristes. Chouette.

« La Mécanique des profondeurs » (joli titre au passage) conserve à son tour quelques connotations cyberpunk, avec ses tueurs mutants dans un monde ravagé (plus précisément, une Hollande sous les flots). La mutante Ozzie est une tueuse (donc) qui officie dans une Amsterdam submergée, confrontée de jour en jour aux trafics les plus lugubres qui ont pris place dans les « bulles » épargnées par la mer. Mais elle est aussi en quête d'un mystérieux serial killer aux innombrables victimes... qui n'est autre que son père. Là encore, un texte très prenant, fourmillant de bonnes idées.

Mais le meilleur reste à venir, les deux dernières nouvelles étant à mon sens de très loin les plus réussies du recueil, et notamment « La Notion de génocide nécessaire » (encore un chouette titre, d'ailleurs). Un cadre original en science-fiction : la Mongolie. Ismaël Kashoggi l'arpente, au nom de l'ONU, pour recenser les populations nomades de la steppe, encore relativement nombreuses, et très récalcitrantes ; l'idée même du recensement, et a fortiori les méthodes de « surveillance » proposées par l'ONU, vont à l'encontre des principes de ces hommes et de leur attachement à leur liberté. Le problème est qu'ils n'ont guère le choix : le recensement est une condition sine qua non imposée par une puissance extraterrestre, les Archontes, pour faire profiter la Terre de sa technologie extrêmement avancée. Or, dans les autres pays où le recensement a dû être arraché à des populations nomades, la situation a vite dégénéré, la corruption omniprésente et les ambitions autoritaires des Etats concernés, désireux d'abolir ce mode de vie traditionnel difficilement gérable, débouchant rapidement sur des guerres civiles rendues encore plus horribles par les innombrables massacres de la « purification ethnique » que ce grand chamboulement ne manque pas de susciter... Or Kashoggi se sent bien désarmé, lui, le spécialiste du monde arabe, confronté à une société qu'il ne comprend guère mais qui ne tarde pas à le fasciner ; sa vie privée s'en ressent, d'ailleurs. Mais il lui faudra bien trouver une solution, avec le soutien du khan Lo Han Enkh-saïkhan tant qu'à faire (et de la jolie et très très très libre interprète Cinderella, gulp...). Une nouvelle très réussie, humaine, sensible et pertinente. Thomas Day idéalise bien quelque peu le mode de vie nomade (c'est dans l'air du temps...), mais donne, en-dehors de ce seul aspect, une image semble-t-il assez cohérente de la Mongolie (à en croire quelques sources autorisées, merci les gens au passage) ; les personnages sont humains et attachants, les différents niveaux de narration, du plus global au plus restreint, s'imbriquent à merveille... Pas grand chose à redire, une très bonne nouvelle.

Il en va de même – bien que l'atmosphère soit on ne peut plus différente – du dernier texte du recueil, intitulé « Démon aux yeux de lumière ». Le démon en question, c'est Loki, le fourbe asgardien (même s'il est plus prométhéen que réellement démoniaque, en fin de compte). Loki, ici, ne ressemble guère à la figure classique, « wagnérienne », ni même au méchant des comics de Stan Lee : c'est une rock-star, un punk nihiliste avec une énorme bite, un ego tout aussi surdimensionné et un sens de l'humour consternant. Son périple dans un monde plongé dans le Ragnarok de son propre fait, la jeune prostituée Cybèle à ses côtés, prend des allures de road-movie iconoclaste, sordide et jouissif, qui n'est pas sans évoquer à l'occasion les chouettes BD « for mature readers » du label Vertigo, entres autres, Preacher ou Hellblazer notamment, ou Sandman en plus trash. SF et fantastique se mélangent avec pertinence pour un résultat fort intéressant.

Alors, certes, Sympathies For The Devil est inégal (comme la plupart des recueils de nouvelles, à vrai dire) ; à l'occasion, le texte est émaillé de quelques maladresses, de quelques lourdeurs, parfois de gimmicks un peu superflus peut-être (notamment pour ce qui est des scènes de cul plus ou moins en mode automatique et vaguement trashouilles à l'occasion, mais bon, j'avoue que, bien qu'extrêmement libertaire dans les principes, je suis en même temps d'une pudeur parfois excessive et confinant à l'occasion à ce puritanisme que j'abhorre, alors cette critique n'est peut-être pas si fondée que ça...). Reste que ça se lit très bien. Un bon recueil de nouvelles, qui vaut bien que l'on s'y attarde.
Nébal
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le 13 oct. 2010

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Nébal

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