Quand je lis Faulkner, je sais pourquoi j'aime la littérature. Il y a ce quelque chose d'impeccable qui agrippe l'oeil et les petites cellules nerveuses. Épique, poétique, rythmé à la perfection dans Tandis que j'agonise, comme dans la dernière partie du Bruit et la fureur, le style prend un état fluide, lubrifiant les pages les unes après les autres, s'écoulant tout le long, et l'on glisse tranquillement, au travers de ce ton bien faulknerien, si tristounet, si mélancolique, qui s'attarde sur les mots, et qui rappelle, malgré l'hasardeux de la comparaison, bien des tonalités de Céline.

« Il est assis sur la première marche, petit, immobile, dans sa blouse déteinte. Quand je suis sorti, il a levé les yeux sur moi, puis sur Anse. Mais maintenant, il ne nous regarde plus. Il reste là, assis, sans rien faire. »

Cela réside dans la méthode de dépiction, aussi. L'objet de l'action est bien là (le cercueil, les tohu-bohus du fleuve...), il se déplace et il se déploie, en filigrane, à coups de brèves remarques, par petits bouts épars qui sourdent de temps à autres, mais il se terre en fait derrière d'autres amas textuels — surtout des flux de conscience. Si bien qu'une bonne douzaine de narrateurs réalisent cette complexité du tout, dessinant l'objet en arrière-plan, en plein dans une forme de brouillard que l'on ne peut dégager qu'en restant très attentif.

L'agonie, à l'origine, c'est Addie. Pas n'importe quelle Addie : celle qui est mariée à l'asservissement, celle qui prétexte l'amour sans trouver de réalité aux mots, celle qui a perd sa virginité en même temps que sa solitude ; celle qui la transmet par les gènes et le sang. Elle est ce personnage agonisant pour lequel il appert que tous s'éteignent lentement dans la cellule familiale, préparant leur mort. Et tout perd son sens, sa raison, son concret. Elle n'a fait que s'égarer dans son existence : c'est pourquoi son cercueil doit être façonné par son fils, et c'est pourquoi il doit être rapatrié à Jefferson, là où la vie la précède.

« Pourquoi Anse ? Pourquoi es-tu Anse ? Je pensais à son nom tellement qu'au bout d'un moment, je pouvais voir le mot prendre forme, la forme d'un récipient ; et je voyais Anse se liquéfier et y couler comme de la mélasse froide s'écoulant des ténèbres dans le récipient jusqu'à ce que le vase fût plein et immobile; une forme significative, profondément inanimée, comme le vide d'une embrasure de porte. »
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le 11 mars 2012

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