On croyait que les aventures au pays de Terremer étaient terminées, le MAL menaçant l'existence du monde éradiqué et tout ça, mais 18 ans plus tard Ursula Le Guin a pensé à une suite. Que va-t-il se passer ? A quels rebondissements le lecteur doit-il s'attendre après une troisième partie assez dépressive et déprimante du début à la fin ?
Eh bien, à notre grande déception, pas grand chose, il faut en être prévenu.
La seigneure des agneaux.
L'auteure replace Tenar sur Gont, l'île de Ged. Elle est devenue une fermière ordinaire qui semble courir sur son troisième âge, devoirs accomplis, enfants placés et mari décédé. L'ex-divinité vivante s'est muée en une figure quelconque et conventionnelle de la ruralité. Elle recueille une petite fille violentée et à moitié brûlée par son père, lequel veut en plus finir le travail. Et pour la protéger, Tenar décide de rejoindre le vieux mage Ogion, ancien maître de magie de Ged. Là, on se dit qu'Ursula nous prépare une surprise...
Mais on a beau être patient, hormis des descriptions de la vie quotidienne dans une misérable chaumière médiévale, rien ne vient que des interrogations sans réponse et même sans un indice. Il faut attendre l'avant-dernier chapitre pour qu'Ursula révèle l'intrigue et que quelques éléments de merveilleux apparaissent, soufflant un peu sur les braises quasi éteintes de l'épopée fantastique. Entre-temps, pas d'histoire, pas d'explication d'enjeux et même pas de dialogues intéressants. Il faut dire qu'entre la fermière Tenar et ses complexes d'infériorité, la fillette multi-traumatisée qui refuse de parler, une vieille bique de sorcière de village inculte, trouillarde et à moitié dingue, le vieil ex-mage Ged récupéré plus mort que vif et qui refuse désormais de rencontrer qui que ce soit, sans compter les malfaisants de tous poils, l'ambiance n'est pas à la fête. Et on se demande quelle autre punition ULG aurait bien pu imaginer pour enfoncer plus profondément ses héroïnes dans le martyre et la malchance. Bref, on aurait envie d'être ailleurs, sur une autre île, avec d'autres personnages et où il se passerait quelque chose de plus stimulant par exemple.
Un roi pour les gouverner tous
Non contente de tourner le dos au récit épique et fantastique, Ursula Le Guin prend une position idéologique déroutante en faisant une apologie de la monarchie. Comme annoncé d'ailleurs dans le troisième tome, le Roi est présenté comme la solution à tous les problèmes de Terremer, lesquels sont comme de juste arrivés avec l'interruption de la dynastie précédente, quelques centaines d'années auparavant. Bien sûr, les Etasuniens ont une fâcheuse tendance à idéaliser la monarchie dans leurs fictions. Il faut dire qu'ils n'ont jamais eu à souffrir son lot de tyrannies, de pensée rétrograde, d'ordre rigide, d'injustices sociales inscrites dans la pierre, etc. Mais bon sang, comment la brillante et avant-gardiste anarchiste Ursula Le Guin a-t-elle pu rêver d'une société équilibrée et paisible entre les mains d'un seul homme, fut-il le gendre idéal ? Pire, les relations entre le peuple et le roi apparaissent aussi mièvres que dans les contes revisités par Disney. Si le portable avait existé à Terremer, il semble à la lecture de Tehanu que le fin du fin pour une roturière aurait été de faire un selfie dans une belle robe avec ce roi jeune, si désintéressé, si moderne, si juste et si généreux qu'on pourrait lui donner les traits de notre bien-aimé Macron 1er. Sûr que les angliches ont dû pétiller du bulbe en voyant cette tournure de pensée chez Ursula Le Guin !
Ma seule explication à ces étranges dérives est que l'auteure sexagénaire aurait perdu le fil d'une histoire qui, de plus, était à l'origine un travail de commande pas très passionnant pour elle. La revendication "féministe" qu'elle cherchait à y placer aura trouvé dans l'écriture de cette suite (et fin) un bien mauvais terrain d'application, pas convaincant pour une piécette.
Bref, comparée à l'ensemble de l’œuvre d'Ursula, l'écriture de ce livre est complètement ratée, et peut-être pourra-t-on retomber sur ses pieds en (re)visionnant le manga animé de Goro Miyazaki Les contes de Terremer, même s'il est un peu raté lui aussi.
Je dois donc avouer que je me suis forcé à finir Tehanu, par égard pour l'auteure qui a écrit tant de belles histoires, et parce que la saga se continuait dans mon recueil avec la préquelle Les contes de Terremer, écrite pour expliquer certaines bases de l'univers fantastique inventé par Ursula Le Guin. J'ai commencé ce dernier opus et, bonne nouvelle, il semble de bien meilleure facture !