Le dernier ouvrage des Pinçon-Charlot s’inscrit dans la lignée de leurs précédents travaux consacrés aux sociabilités mondaines et aux pratiques politiques de la haute bourgeoisie. Il propose une synthèse convaincante sur la pratique de l’évasion fiscale dans les hautes sphères de la société française. Pratique de l’entre-soi social, transmise de génération en génération, la fraude fiscale est décrite comme une véritable institution au cœur d’un système juridique et politique défendu avec véhémence par ses promoteurs. L’enquête de sociologie critique nous transporte des halls des banques suisses aux couloirs de Bercy, ministère « sous pavillon de complaisance ». Le projet initial de produire une sociologie marchée, une pérégrination physique dans le monde et les espaces de l’évasion fiscale, s’efface cependant quelque peu dans le cœur de l’ouvrage. Ce sont surtout les blocages politiques, liés aux conflits d’intérêts et à la porosité entre la banque d’affaires et le monde politique, qui sont mis en relief : le verrou de Bercy et le pouvoir discrétionnaire du ministre du Budget, le financement des partis politiques, le pantouflage des hauts fonctionnaires… Ce que les sociologues font le mieux, comme dans leurs ouvrages précédents, c’est de montrer à quel point les pratiques économiques et politiques d’une classe dominante portent une terrible violence symbolique et réelle. L’évasion fiscale est « une violence des riches »; elle traduit aussi et alimente une crise profonde de la démocratie.