Donald Richie, fin connaisseur du Japon qu'il parcourt depuis les années d'Occupation, entreprend en 1962 de voyager autour de la Mer intérieure de Seto. Il effectuera plusieurs voyages dans cette région au cours des années 60, dont l'un accompagné du photographe naturaliste Yōichi Midorikawa dont quelques clichés agrémentent cette édition. De ces voyages seront tirés ce recueil, publié une première fois en 1971. Ce récit de voyage "à l'ancienne", d'un style parfois assez éculé qui prend la forme de la découverte naïve d'un occidental d'une partie du monde encore assez peu connue, nous décrit avant tout un Japon aujourd'hui révolu. En effet, la Mer intérieure n'a pas été choisie au hasard : véritable cœur du Japon, parsemé d'îles pleines d'histoires, cet axe historique des échanges au sein de l'archipel nippon offre des paysages reculés, des mentalités insulaires, une économie d'un autre temps faite de pêche traditionnelle et de petit commerce, un paysage figé peu à peu rattrapé par la modernité galopante du Japon des années 60. Signe des temps, lorsque Donald Richie effectue ses voyages, l'île de Shikoku n'est pas encore reliée par la route à l'île principale -- elle le sera dans les années 80 avec la construction simultanée de trois grands ponts. Tous les trajets entre ces îles et îlots se font exclusivement en bateau. Au moment où Richie alimente son journal, le Japon s'ouvre au monde et s'apprête à recevoir un grand nombre de visiteurs (JO de Tokyo en 1964, Expo universelle à Osaka en 1970, JO d'Hiver à Sapporo en 1972), un développement dont apparaît exclue cette partie du Japon, je le répète, le raccordement à l'île principal n'arrivera que vingt ans plus tard. Mais des changements sociologiques sont déjà palpables dans le récit de l'auteur, les habitants voient leurs enfants partir pour les grandes villes pour ne jamais revenir, l'économie familiale et archaïque ne tiendra plus très longtemps.
Et c'est la description de cette société qui fait tout l'intérêt de l'ouvrage. Richie y effectue des rencontres humaines intéressantes, voire surprenantes, comme dans cette léproserie installée sur une île pour mieux isoler ses habitants.
D'autres passages sont un peu plus patauds et condescendants, et semblent avoir été écrits avec les gros sabots d'un Américain confronté à un monde qu'il interprète avec ses jugements de valeur. Au moins c'est honnête. Je n'accablerai pas non plus l'auteur pour certains de ses passages et la sexualisation des femmes qui en ressort. On est dans les années 60, la littérature occidentale nous offre bien pire et le Japon est plutôt ouvert sur ce sujet.
Ces quelques défauts ne doivent pas entacher le formidable récit, l'aventure humaine, la richesse des rencontres, véritable voyage dans le temps mâtiné d'un goût de découverte, un Japon désormais disparu que tout passionné aujourd'hui aurait voulu connaître.