Quoi que son sous-titre puisse laisser entendre, ce livre n’est pas un produit dérivé. Ce n’est pas davantage un exercice d’admiration, façon Fan de sans Séverine Ferrer et sans recul : les auteurs aiment la série télévisée dont ils parlent, mais tout comme n’importe quel thésard travaille sur quelque chose qu’il apprécie. (Et encore le goût du trio pour son sujet est-il à la fois reconnu comme tel, limité en volume et étayé : « Il ne se passe rien, c’est vrai, ou presque rien dans certains épisodes de The Walking Dead. Mais avec une intensité neuve, lancinante qui vous fait aimer le rien. », p. 10. En parlant de trio, on peut regretter dans ce Guide la redondance de certaines analyses, inhérente il est vrai à l’écriture de groupe.) Ce n’est pas non plus un de ces ouvrages de circonstance qui cherchent à vulgariser différentes notions de sciences humaines en s’appuyant sur une œuvre à succès, et qui trop souvent finissent par dégoûter de l’œuvre et maltraitent les sciences humaines, tout en prenant le lecteur pour un abruti. Cerise sur le gâteau : il n’y a pas de masturbation intellectuelle (1) dans ce Guide de survie conceptuel, là où certains universitaires se sentent obligés de se prendre pour Lacan ou Deleuze dès qu’ils abordent la « culture populaire ».
Un essai, donc, portant sur les six premières saisons de la série télévisée, dans une perspective exclusivement thématique : le comic, la série dérivée et les aspects techniques – réalisation, acteurs, etc. – sont laissés de côté. C’est à peine si les aspects formels de l’œuvre et son esthétique sont évoqués – alors que les thèmes de la violence ou de l’espace, par exemple, pouvaient être traités sous cet angle. Je n’écris pas cela comme un reproche, hein, je souligne juste le caractère provisoire de ce travail, et j’explicite le mot conceptuel du sous-titre. Parce que pour le mot survie, je n’ai toujours pas compris : tentative marketing ? humour de prof ?
La démarche générale est exposée en introduction : « Il eût en effet semblé illégitime et pour tout dire inconvenant de forcer l’accès de cette série, bardés d’outils théoriques calibrés à l’avance, de concepts et de métaphores convenues, de tout un prêt-à-penser auquel zombies et survivants seraient venus docilement se plier. […] Le dépouillement nous est apparu au contraire comme un préalable nécessaire, une condition dictée par la série elle-même, par sa sécheresse dont nous reparlerons, et par le dispositif exigeant qu’elle met en place. » (p. 8). Les auteurs se tiendront à cette démarche. Elle me plaît ; je la partage et j’en partage les fruits, y compris lorsqu’il s’agit uniquement d’écarter par avance, de démentir, d’approfondir ou de nuancer les analyses un peu fourre-tout auxquelles toute série à succès donne fatalement lieu.
Dans les détails, chaque thème est traité dans un chapitre : en gros et dans l’ordre le contexte post-apocalyptique, la figure du mort-vivant, l’espace, la paternité, la communauté, le nomadisme, le lien moral, les femmes, la mort, la survie et le meurtre. Certains chapitres sont moins captivants que d’autres, mais l’ensemble est de bon niveau. On trouve çà et là quelques titres d’autres œuvres, au nombre desquelles il est logique de compter le Jour des morts-vivants de Romero ou la Route de McCarthy, « ce bréviaire pour tous les mondes cassés » (p. 95). Et si Jean-Claude Michéa est nommé, Mauss et Orwell sont évoqués plusieurs fois, à travers les notions de don / contre-don et de common decency (2).
Cela dit, en termes d’appareil conceptuel, les auteurs ne sortent pas l’artillerie lourde : un spectateur avec un cerveau disponible peut tout à fait formuler – au moins sous forme embryonnaire et / ou intuitive – la plupart des remarques développées dans ce guide. Et un spectateur plus sensible à la dimension artistique y aura ajouté des analyses tout aussi valables, par exemple sur le macabre dans la série, sur sa temporalité ou sur le thème du double. Dans tous les cas, aussi cultivé et diplômé qu’il soit, un lecteur qui n’aurait jamais vu The Walking Dead ne trouvera aucun intérêt à lire ce Guide. C’est peut-être la question que celui-ci pose au final : quel public pour l’entertainment de masse ?


(1) En fait, si, mais je n’ai relevé qu’une phrase : « The Walking Dead attaque alors toutes nos fixions, ces fictions que nous fixons dans un espace pour nous l’approprier. », p. 42. Dire que j’ai lu des bouquins entièrement écrits dans cette langue…
(2) The Walking Dead serait une série « de gauche » ?

Alcofribas
7
Écrit par

Créée

le 1 nov. 2016

Critique lue 195 fois

1 j'aime

Alcofribas

Écrit par

Critique lue 195 fois

1

Du même critique

Propaganda
Alcofribas
7

Dans tous les sens

Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...

le 1 oct. 2017

30 j'aime

8

Le Jeune Acteur, tome 1
Alcofribas
7

« Ce Vincent Lacoste »

Pour ceux qui ne se seraient pas encore dit que les films et les albums de Riad Sattouf déclinent une seule et même œuvre sous différentes formes, ce premier volume du Jeune Acteur fait le lien de...

le 12 nov. 2021

21 j'aime

Un roi sans divertissement
Alcofribas
9

Façon de parler

Ce livre a ruiné l’image que je me faisais de son auteur. Sur la foi des gionophiles – voire gionolâtres – que j’avais précédemment rencontrées, je m’attendais à lire une sorte d’ode à la terre de...

le 4 avr. 2018

21 j'aime