Complémentaire mais pas indispensable
Ce qui m'impressionne chez Kirkman, plus encore que d'avoir réussi à écrire l'histoire de morts-vivants ultime avec son Walking Dead, c'est de planifier un véritable univers postapocalyptique cohérent. Le matériau de base semble pourtant assez mince à première vue et, alors qu'on pensait faire assez rapidement le tour de la question zombie, Kirkman poursuit, année après année, son grand oeuvre aussi épique que psychologique. Pourtant, et c'est là mon reproche principal, le comic originel ne s'attache qu'à un groupe de survivants alors que l'on sent le monde ravagé de Kirkman innervé de sous-histoires et personnages secondaires intéressants mais sous-exploités. C'est alors que la narration transmédia prend tout son sens: et si on racontait l'histoire d'un autre groupe... disons dans un roman ? Et si en plus le groupe en question est celui d'un certain Philip Blake, l'idée devient tout bonnement géniale !
Le personnage que tous les fans de Walking Dead connaissent sous le surnom affectueux de "gouverneur" fut un personnage marquant, imprévisible, violent jusqu'à la folie et insaisissable. Difficile de comprendre comment un être humain put en arriver à de telles extrémités psychotiques, surtout que le passé du Philip restait, dans le comic, finalement assez flou. "L'ascension du gouverneur" vient réparer l'injustice d'un personnage qui méritait finalement mieux qu'une si "courte" apparition en nous prouvant, au passage, que sa psychologie est bien plus travaillée que celle d'un homme qui pète un câble à la mort de sa fille.
Le roman nous permet donc d'avoir accès à des renseignements inédits, avalisés par Kirkman (qui a surement davantage donné un cahier des charges à Bonansinga qu'écrit lui-même) et qui viennent enrichir de façon cohérente son univers avec un nouveau point de vue qui reprend (presque) de zéro la chronologie de l'infection. Je dis "presque" car, dès les premières pages, le monde entier semble déjà foutu. A part quelques minces allusions, on n'assiste pas en direct aux tous débuts de l'Apocalypse qu'on avait déjà ratés dans le comic à cause du foutu coma de Rick, et c'est un peu frustrant. Mais un problème bien plus gros ne va pas tarder à pointer le bout de son nez putréfié en cours de lecture... C'est long. Et un peu chiant. En fait, pendant plus de la moitié du bouquin, il ne se passe pas grand chose. Le comble pour du Walking Dead dont l'un des intérêts principaux est d'enchainer les moments marquants avec des instants de calme. Certes, les personnages sont tout de suite propulsés en Enfer, pas de doute là-dessus, mais la description de ce dernier devient très rapidement mécanique, voire redondant.
Le style de l'auteur (Bonansinga, donc) n'est pas mauvais en soi. Le vocabulaire est assez riche, quelques métaphores viennent soutenir le tout... Mais le scénario en lui-même, durant un long moment, est loin d'être palpitant. Les personnages se déplacent beaucoup, tuent beaucoup et le tout parait terriblement vain, prévisible. Et ces longueurs ! On s'attarde bien trop longtemps sur des détails purement pratiques, certes nécessaires à petites doses mais qui finissent par submerger le lecteur par leur répétitivité. Et comme on ne rencontre pas énormément de survivants dans cette histoire, il ne faut pas trop compter sur les dialogues pour relever le niveau, malheureusement.
On se sort enfin les doigts du cul avec la dernière partie. La dégradation des personnages prend enfin un tour intéressant, on rencontre beaucoup d'autres survivants et on arrive à une conclusion surprenante et même choquante qui ne prendra toutefois sens que pour ceux qui ont déjà lu les comics. Oui, la révélation finale m'a estomaqué et a finalement justifié toute la lecture que j'avais faite, et je ne pourrai m'empêcher de lire les deux tomes suivants pour savoir comment les auteurs vont crédibiliser une telle clé scénaristique qui pourrait facilement tourner à la farce si elle n'est pas judicieusement construite. En espérant que ces suites bénéficieront d'un meilleur rythme et d'une intrigue généralement plus captivante, je laisse une note d'encouragement à un travail qui est loin d'être honteux. Note à laquelle vous pouvez directement soustraire un point si vous ne connaissez pas les aventures de Rick, purement et simplement la raison d'être de ce roman qui n'a guère de sens lu indépendamment.