Bougres d’entêtés

Le théatre de Sophocle se démarque de celui de son aîné Eschyle par l’importance qu’il donne aux personnages, reléguant le chœur et le choryphée à des rôles secondaires, faisant le choix d’enrichir les interactions humaines, comme dans Électre, où celle-ci retrouve son frère Oreste et échangent à propos du meurtre de leur mère Clytemnestre, ce qu’Eschyle avait traité en s’appuyant sur le chœur des femmes.

Ce qui m’a marqué dans ce recueil de tragédies, c’est la solitude qui frappe les héros, d’Œdipe vieillard aveugle et abandonné à Philoctète perdu sur une île déserte, ou Ajac en proie à la folie qui refuse toute communication une fois sa santé mentale retrouvée. On ressent bien le désespoir et l’attente cruelle de la mort chez ces personnages usés par la vie, ce pathétique contribue à l’émotion singulière ressentie face à une tragédie : la tristesse. On a de la peine pour eux.

Il faut d’ailleurs l’apparition d’un héros ou des dieux pour sauver ces pauvres bougres, ou du moins leur redonner de la dignité, sorte de récompense finale à une vie de souffrance. Pour d’autres, le suicide est une meilleure option que l’attente de la mort, Ajax ou Antigone en sont les exemples.

Antigone, sa plus célèbre pièce, dépeint encore cette solitude en nous montrant le statut de paria de l’héroïne, qui court à une mort certaine en désobéissant à Créon au nom de la dignité de son frère. Aussi entêtée que Créon, Antigone incarne cette noblesse dans la volonté, ce refus de dévier de ses principes, quitte à mourir.

La présence des oracles, surtout Tirésias est un des fondements des tragédies de Sophocle. Ce sont d’ailleurs les prédictions de Tirésias qui pousseront Créon à changer d’avis à propos d’Antigone. Les oracles se posent en véritable messagers des dieux, leur donnant une autorité et une crédibilité qui relèguent les humains au rang d’êtres ingérables et comme maudits par leur libre arbitre qui les poussent à prendre des décisions à l’issue fatale.

Un recueil à lire et relire, pour connaître les mythes, fondements de notre culture, et se laisser emporter par les émotions pathétiques inhérentes à la tragédie.