Je défie quiconque de lire Tiens, ils ont repeint ! d’un bout à l’autre et en intégralité sans lire autre chose entre-temps. Il y en a beaucoup, de ces inscriptions relevées sur les murs du monde entre mai 1968 et janvier 2018 – oui, après la parution du livre ! – des usines sochaliennes aux murs nord-irlandais en passant par Paris, New York, Porto, Sarajevo, Montréal, Avignon, Lecce, Valparaiso ou Saint-Jean-du-Gard. Je ne sais pas combien, mais beaucoup.
Et pour tous les goûts, de « NON AU GAZ DE CHIPS ! » (p. 146) à « NON A TOUT » (p. 149). Du slogan politique détourné : « Give violence a chance » (p. 29) à la poésie de caniveau : « Jesus cries » (p. 47). De la poésie de trottoir : « TRACAS / FAMINE / PATROUILLE » (p. 65, avec une variante p. 93) à la provocation peut-être gratuite : « Je début dans / le TAG alors / REPEINS » (p. 54). Du conseil vital : « PAZI ! SNAJPER » (Sarajevo, mars 1992, p. 27) à la référence culturelle underground : « in 1983 / i was hospitalised / for approaching / perfection » (p. 50). De la puérilité : « FLICOPROUT » (p. 19) au mal-être bidon : « Ma lucidité me fait mal » (p. 27). De la non-culture : « CULTURE = ESCLAVAGE / INTELLECTUEL » (p. 9) à la revendication laconique : « MARI / JUANE » (p. 17). De la proclamation cynique : « NUEVO / RECORD / OLIMPICO / 1500 MUERTOS » (p. 10) au romantisme débridé : « MON SPERME / SES LARMES / NOS MOUCHOIRS » (p. 50)… Avec bien sûr des mélanges entre tout ça : « GILDA JE T’AIME / À BAS LE TRAVAIL » (p. 9), parfois avec force palimpsestes : ce « JESUS / GO HOME ! » auquel une main plus prosaïque a ajouté « Pisse mon fréro » (p. 45), ce « révolutionnons l’ortografe » annoté « ce n’est pas primordial » (p. 9).
Car Yves Pagès a respecté l’orthographe parfois toute personnelle des inscriptions. Bien sûr, tout cela suit l’histoire et la politique, et il est bon que les graffiti reproduits soient pour la plupart localisés : « je veux mon dossier » (p. 26) aurait un autre sens ailleurs que sur les murs du siège de la Stasi en janvier 1990, et « 24.09 : Enfin, consanguins ! » (p. 37) perdrait de son intérêt si l’ouvrage ne précisait pas qu’il figurait à Genève en décembre 2006. Du reste, les auteurs s’adaptent au support : « In my previous life / I was the Berlin wall / The beer was better there » (p. 46), sur un mur près de Ramallah… (J’ajouterai que certaines traductions sont étranges… : « Nosge te ipsum » signifierait « La foule est sans nom » (p. 77) ?)
Peut-être la postface pète-elle un peu plus haut que son cul. On y lit que « Hors sol, le sens de ces inscriptions est comme tronqué. En revanche, le fait de les ranger à la queue leu leu sur la page, de les lister à l’unisson produit un autre effet : de coq à l’âne » (p. 206). C’est sans doute donner trop de prix à une entreprise qui, toute fournie et documentée qu’elle soit, reste une opération de recensement. Au moins chaque lecteur devrait-il y trouver son compte, et je préfère l’approche de Tiens, ils ont repeint ! à celle des Photomanies, publiées en 2015 par le même auteur.

Alcofribas
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le 17 janv. 2018

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