Titus dans les ténèbres a été imaginé pour un recueil auquel ont également collaboré William Golding et John Wyndham en 1956 : Quelquefois jamais. Les lecteurs de Gormenghast y retrouveront Titus, le comte d’Enfer, au début de sa rébellion adolescente. Lassé de répéter les mêmes rituels chaque jour, le jeune homme quitte son château pour partir à la découverte du monde. Une nouvelle escapade, de nouveaux personnages pour un univers enrichi, et, surtout, un conte philosophique très intelligent qui peut s’apprécier indépendamment de l’œuvre de Peake.

J’ignorais l’existence de ce petit livre. Une véritable rareté. Avoir la chance de replonger pour une centaine de pages dans l’univers merveilleux de l’auteur était un véritable bonheur. On retourne dans les murs de Gormenghast avec une certaine émotion vivre un moment privilégié, faire un dernier bond dans le passé. Cependant, il ne sera pas question du château, mais de ses extérieurs, avec son lot de personnages étranges que cela implique. Si vous avez lu le dernier tome, alors vous n’ignorez pas que, derrière les murailles de l’imposante forteresse, tout devient très hostile. Le temps d’une nuit, Titus s’offre donc une ballade qui devra le marquer lourdement.
En se pliant au format du conte, l’auteur propose une aventure invraisemblable, proche du rêve, et même d’un cauchemar plutôt angoissant. Deux personnages à l’intelligence limitée croisent les pas du jeune comte : Bouc et Hyène. Animaux, humains ? Avec un talent toujours aussi remarquable, Peake profite des avantages de la plume pour brouiller les pistes. Les protagonistes prennent des allures d’hybrides… Il est difficile de les imaginer vraiment. Une bête qui parle, qui se tient debout, pourquoi pas, nous sommes dans de la fantasy après tout… Mais ce serait mal connaître le travail d’un écrivain profondément intéressé par l’humain. Non sans horreur, la vérité apparaît doucement, il s’agit bien d’hommes qui, pour une étrange raison, ont abandonné une partie de leur esprit et adopté des attributs sauvages. La tragédie intègre cependant un bel humour grotesque, propre à inspirer les sourires crispés, et, parfois, une certaine forme de pitié.
Que veulent-ils ? De nouvelles âmes pures à apporter à leur chef, l’Agneau, un despote aveugle qui se nourrit de l’adoration de tous ceux qui se soumettent à son incroyable autorité. Hélas, le souverain millénaire se porte mal. La plupart de ses créatures ont disparues après avoir été trop violemment rongées par une insupportable contradiction avec leur bestialité. Seuls Bouc et Hyène, les idiots, lui sont restés. Ils espèrent faire de Titus, qui sera toujours appelé « Le Garçon », un nouvel adepte.

L’histoire serait trop courte pour que je vous en dévoile davantage sur les motifs réels de chacun, et les conclusions précises de cette œuvre inclassable qui, par l’absurde et dans un style inimitable, dénonce le totalitarisme, toute sorte de fanatisme en défendant le libre arbitre. Mervyn Peake ne donne pas dans le grand discours. Tout est symbole, tout est sens chez lui, ce qui rend son texte très riche, très fascinant, à lire plusieurs fois pour comprendre toutes les subtilités, ses jeux de mots, d’images et de langage.
Il sera peut-être difficile d’abord pour une personne qui ne connaît pas du tout ce cher monsieur, un poète et dessinateur qui utilise la prose pour aller là où les deux premières disciplines s’arrêtent, mais vaut néanmoins un petit détour.
Barbelo
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le 27 oct. 2013

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