Le titre est plaisant, les premières pages prometteuses, et puis tout se gâte. On pardonne une citation hasardeuse ("Parfois je demeurais..."), ou un contresens ("Elle avouera à Hermione qu'elle ne lui était pas indifférente") mais comment supporter la niaiserie de ce "biopic" façon Hollywood ( ainsi le vieux Corneille, à la première de Britannicus, ricanant dans sa loge et excitant la cabale) ? Ne nous seront épargnés ni le bon vieux sujet de rédaction ( "Racine rencontre La Fontaine dans un cabaret", ) ni les clichés les plus convenus ( Racine rival de Corneille) ni le récit désopilant de ses amours. Pas vraiment précoce ("Jean a senti son corps se raidir sous la table. A vingt ans il vient enfin de comprendre que plaire aux dames peut susciter une autre satisfaction que celle d'un patrimoine prospère") Racine brûle enfin des feux de l'amour ( "Du Parc, Du Parc, Du Parc ... C'est d'abord un charme léger, mais au bout de quelques jours Jean se réveille la nuit... il se demande ce qu'elle fait, si elle est seule ou dans le lit d'un autre..."). Ne reculons pas devant le torride: : "son ventre le lance, toutes ses pensées semblent s'y jeter comme dans une mer et aussitôt s'y durcir comme les pierres". Horresco referens ! Mais qu'allait-on imaginer ? Ce n'étaient que des crampes d'estomac : "Il met la main sur son estomac, appuie, n'éprouve aucun soulagement". Nous y voici enfin : "Il préfère la pilonner de dos; à chaque coup il va plus loin, meurtrit ses chairs comme elle meurtrit son coeur". Ah qu'en termes galants...
En fait de galant, le nôtre n'est pas des plus précoces : à l'âge de vingt ans "Jean comprend que l'amour est une source intarissable de poésie". Il était temps !
Et l'oeuvre ? A d'étranges considérations sur le vers racinien ("Jean a l'impression qu'au pied de ses mots en grouillent d'autres, perclus de mouvements minuscules et erratiques qui viennent cogner contre ses hémistiches" p.189) font pendant quelques paradoxes dont la fausse hardiesse masque mal l'inanité: Andromaque n'est au fond qu'une "tueuse d'enfant", quant à (aux) Titus il a (ils ont) tout simplement largué Bérénice, ne cherchons pas plus loin. Heureusement qu' un juste châtiment les guette. Bien fait !
Admettons le parallèle entre les deux couples homonymes, pourquoi pas ? Le pire est ailleurs, dans cette accumulation, au fil du roman, de comparaisons et de métaphores calamiteuses, dans les ridicules et les absurdités de ce style outrageusement fleuri. Quelques exemples ( ils sont légion) : "Ni la prière ni les auteurs n'ont jamais levé en lui cette mousse légère qui lui fait gravir les marches deux à deux..." , "Il sent pousser dans sa chair les arêtes d'un marbre qui pousse" , "Pour un peu on n'entendrait que les plumes de son chapeau qui se dressent...", "Une autre tragédie talonne la sienne, celle de Quignault (sic), toute grouillante de vers, battue de courants d'air" . Evoquons pour terminer quelques sentences aussi péremptoires que mystérieuses ( "à défaut de chiffrer la beauté, on peut chiffrer la musique", "en tout être il y a toujours de la roche et de l'écume" , "les virages ont souvent l'impulsion des retours".
Avez-vous vraiment lu ce roman, Mesdames et Messieurs du prix Médicis ?