Tokyo Vice
7.5
Tokyo Vice

livre de Jake Adelstein (2009)

« J’avais quand même des scrupules »…

À moins d’être déjà un assez fin connaisseur du Japon, impossible de ne rien apprendre du tout en lisant Tokyo Vice. De ce point de vue, le dépaysement est garanti, avec ce qu’il implique parfois d’incrédulité : on parle d’une société ultra-codifiée, dans laquelle le simple fait d’échanger des cartes de visite prend des allures de cérémonie. « Il y a l’image publique que l’on préserve, le tatemae, et puis il y a les choses telles qu’elles se passent vraiment » (p. 425 en poche), et une partie du livre, justement, s’attache à expliquer ce que recouvrent les apparences.
On se retrouve vite dans une culture où « Il y a une manière de faire – une manière parfaite – pour tout » (p. 97), d’où le dépaysement, d’où une curiosité qui touche à tous les aspects de la vie quotidienne, sociale et individuelle.
À ce titre c’est un livre de journaliste assez réussi, notamment parce qu’il aborde pas mal de sujets : la culture japonaise, les yakuzas et le crime (plus ou moins) organisé, le journalisme… Même si le propos n’est pas toujours très rigoureux (1), certains passages constituent, à leur manière, une réflexion intéressante sur le métier : quand l’auteur dit à un policier « Évidemment que je coucherais avec une femme pour des infos. Je suis une irrémédiable pute de l’info » (p. 352), ce n’est peut-être pas très éthique, mais c’est clair, et ça remet les choses en perspective.
Le premier gros problème, c’est que le livre est à peine construit. Une formule assez marquante assimile « Kabukicho le soir, en 1999, […] au Bal des lumières de Disneyland, sauf que les néons vous invitaient à vous faire sucer. » (p. 220). Dans Tokyo Vice aussi, ça clignote de partout, mais souvent, les épisodes ne présentent pas plus de continuité que deux attractions de fête foraine qui n’ont en commun qu’un emplacement voisin. Et puis il y a les files d’attente : ces longues pages où il ne se passe rien de spectaculaire. Elles ne sont pas inutiles, mais si mal organisées, parfois si redondantes, que ce manque de structure nuit considérablement à l’intérêt de l’ouvrage.


Le deuxième problème, c’est que la figure de l’auteur finit par éclipser le sujet : ce n’est plus le Japon vu par Jake Adelstein, ce sont les aventures de Jake Adelstein au Japon. Là encore, ça ne signifie pas que ce soit inintéressant. Quand l’auteur dit « C’est mon boulot. Je trouve des infos inédites et je défends le droit de savoir » (p. 334), il pose indirectement la question de savoir à quoi correspond ce droit – qui a le droit de savoir quoi ? Mais il est difficile, malgré son humilité revendiquée, de lire certains passages autrement que comme des tentatives plus ou moins adroites et plus ou moins virulentes de se justifier. Adelstein n’est pas exempt de cette « fierté masochiste » (p. 44) qu’il attribue à « presque tous ceux qui travaillent ou ont travaillé aux Infos nationales » du Yomiuri shinbun.
Comme les reportages finissent par modifier le reporter, il n’est alors plus guère étonnant de lire « J’étais pris d’une culpabilité juive et puritaine, j’avais besoin de me confesser » (p. 230) – il est vrai que le mot vice figure dans le titre de l’ouvrage… Une autre formule, pas la plus spectaculaire du livre, me semble parfaitement illustrer la situation de Jake Adelstein : « Je ressentis l’appel du devoir, une forme d’obligation. Peut-être que j’aurais dû voir ça comme une tentation à la place » (p. 385). Il me semble que « l’appel du devoir » correspondrait aux impératifs posés par la culture japonaise dans laquelle il baigne, et la « tentation » à une vision marquée par la culture judéo-chrétienne dont, en tant que « petit Juif du Missouri », il reste un représentant.


(1) « Je savais combien Goto avait dû débourser pour avoir son foie : un million de dollars d’après certaines sources, trois millions selon d’autres » (p. 14) : autrement dit tu ne savais pas, Jake…

Alcofribas
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le 25 août 2020

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Alcofribas

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