Comme ce n’est pas la fête au village (famine, funestes présages, maussaderie générale…), le vieux chamane, l’apprenti-chamane et la guerrière partent trouver les divinités responsables ; d’où quête, visions, monstres, combats, escalade… Sur cette trame vieille comme les mythes, il s’agissait de broder quelque chose de convaincant.
Or, Tout au milieu du monde est loin d’être parfait. Les illustrations sont réussies, d’accord : construites, cohérentes, parfois surprenantes… Mais justement, ce sont des illustrations : c’est-à-dire qu’elles répètent ce que le texte raconte. Le récit parle du combat de la guerrière et d’un sanglier ? Le dessin montrera la guerrière affrontant le sanglier… L’éditeur parle de « roman graphique », j’appelle cela conte illustré.
C’est précisément à la fin du livre, quand le dessin prend définitivement le relais du texte, que quelque chose se met à dysfonctionner – c’est-à-dire, en l’occurrence, à fonctionner de façon intéressante, parce que jusque là, il s’agissait surtout d’une mécanique sans grande fantaisie.


Si l’abandon du texte ne m’a pas paru un manque, c’est aussi à cause du style. Un style qui se veut riche, qui n’est certes pas pauvre, et qui est aussi celui des bonnes fan-fictions : celui qui cherche avant tout à éviter les répétitions, qui glisse des métaphores et des comparaisons dès que possible, qui rend les choses explicites et représentables comme au cinéma.
Un exemple ? « Un vautour au cou nu s’approche déjà. Écœuré, le jeune homme [Ushang] se saisit d’une pierre et la jette en direction du charognard, qui s’envole lourdement en poussant un cri lugubre » (p. 55). Ce n’est pas mal écrit, non. Seulement, cela semble d’un élève appliqué (« le vautour » repris par « le charognard »), qui aurait voulu bourrer dans le moins de mots possible une action (« jette »), son motif (« Écœuré »), son résultat (l’envol du vautour) et l’impression que la scène produit (« lugubre »). Ce faisant, on n’évite ni les détails inutiles (le lecteur se doute qu’avant de lancer une pierre, l’aventurier a dû s’en saisir), ni les clichés (l’envol est forcément lourd, le cri forcément lugubre).
Cette façon d’écrire est à la littérature que j’aime ce qu’un sandwich est à un repas complet.
En dessin animé, Tout au milieu du monde aurait certainement eu de l’allure.

Alcofribas
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le 8 janv. 2021

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