Un puissant récit, malgré quelques couacs

Un récit, non un roman. Celui d'une vie singulière, écrasée d'injonctions. La mère, la grand-mère, la tante, toutes ces femmes ont corseté Marie, double de Maria. Pas d'amis, pas de loisirs, ne rien faire comme les autres, se réfugier dans les livres : c'est ainsi qu'on forge un écrivain. Emancipée lorsqu'elle quittera la maison dont elle est presque jetée dehors, Marie connaîtra tout de même les hommes, notamment un, qui déposera la petite graine avant de se perdre dans la nature. Adèle en naît, cette fille à qui elle s'adresse, avec la volonté de briser le sale karma qui se transmet de génération en génération. Les souvenirs se succèdent sous forme d'interpellations autoritaires : "reste à ta place", "arrête de penser à toi", "fous-moi le camp"... Cette litanie alterne avec les moments à la clinique, où les femmes en vert ou en rose ne sont guère mieux ressenties par Marie : on ne lui fait pas confiance quant à sa capacité à s'occuper de son enfant.


Au début, j'avoue que la répétition de ces injonctions m'a un peu agacé. J'avais envie de dire : "ok, on a compris je crois, là". Et puis, au fil des pages, le procédé acquiert une certaine force, permettant de dépasser la revendication woke dont on est abreuvé ad nauseum. L'écriture de Maria Pourchet regorge de trouvailles. J'ouvre au hasard. Page 81, en parlant de sa mère :



Elle y apprend, elle, à ne pas être à sa place, à ne pas se défendre, à en concevoir l'amertume qui, trop souvent, lui tient lieu de mémoire, à vivre à la marge d'elle-même. Supérieurement intelligente, elle y prend l'orgueil des demi-pauvres qui se savent plus riches que n'importe qui.



L'amertume qui lui tient lieu de mémoire, j'aime bien.


Page 83 :



L'autorité c'est les mères se défoulant, agitant leurs battoirs au gré de leur fatigue.



Car ces femmes ne sont pas mises en procès. Elles sont l'héritage des précédentes. Marie n'accuse pas sa mère, elle veut simplement rompre une chaîne maléfique.


Page 104, cette belle allitération :



Oui, elle parlait d'elle comme on ne traiterait pas son chien, comme chez elle on traite les siens.



Mais le livre recèle aussi quelques fausses notes. Page 50 :



J'apprends que j'ai un sexe dans un livre d'Anaïs Nin et ce qu'en font les hommes chez Philippe Djian. Ça a l'air super.



"Ça a l'air super", faut pas écrire ce genre de choses.


Page 78 :



J'ai besoin, moi, que ce soit difficile, complexe et ténébreux. Sinon on s'emmerde.



Page 83 :



Bref on s'en fout.



Je trouve là des points communs avec Christine Angot, qui commet aussi ce qui est à mes yeux des fautes de goût. En littérature, on peut être cru, obscène, trivial même. Pas banal. De telles indigences sonnent comme des fausses notes dans une riche symphonie : elles cassent un peu le charme.


Malgré ces quelques impairs, Maria Pourchet signe un livre d'une grande force. Et cette Adèle à qui elle s'adresse, le plus cruel est que je ne l'ai pas sentie très proche d'elle. Comme si la distance vis-à-vis de sa progéniture se perpétuait quoi qu'on en ait. Comme dans la tragédie grecque.

Jduvi
8
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le 20 oct. 2021

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