Ce roman porté par une langue d'une ampleur et d'une précision incroyables raconte la manière dont les ultrariches anticipent l'effondrement du système productif mondial lié à la crise écologique. Certains se construisent des bunkers en Nouvelle-Zélande ou dans l'Altaï pour s'en prémunir, et ne pas subir le sort commun. D'autres, comme Eugénie Valier, préfèrent consacrer leur fortune à amoindrir un peu les dégâts, en l'occurrence en luttant contre la pollution plastique dans les océans. Mais Eugénie Valier prive ainsi son fils Sacha de son héritage, et dans de longs monologues intérieurs, Sacha se demande ce que traduit ce geste, de ne pas transmettre la richesse qu'on a reçue. Que veut dire sa mère quand elle associe sa fin personnelle, la fin de son empire industriel et la fin du monde tel que le capitalisme l'a façonné ? Le livre ne met pas d'abord en avant cette intrigue, il se construit plutôt en circulant dans certains des territoires les plus emblématiques de cette mondialisation tardive, des tours de Dubaï aux galas vénitiens ou aux soirées philanthropiques face à Notre-Dame de Paris. Mathieu Larnaudie a l'art de la description des lieux et des atmosphères, comme il a l'art du portrait - comme un Saint-Simon de notre temps, il croque ainsi les puissants, décrypte leur gestuelle, leur usage du langage, et à travers cela leurs hypocrisies. La densité du livre et la longueur des phrases peuvent intimider, mais pour les lectrices et lecteurs qui n'ont pas peur des digressions, c'est un vrai régal d'intelligence et d'humour.