Le choix du tableau de Malevich en couverture, "Paysanne au visage noir" s'avère des plus évidents à la lecture de ce fascinant témoignage : Une tenue blanche similaire à ce que peuvent porter les travailleurs et liquidateurs au sein de la désertique (mais toujours aussi redoutable) centrale abandonnée de Tchernobyl et ses environs; et un visage au noir, comme le pain brûlé, disparu, inexistant, effacé dans le néant. le même tableau employé comme pochette de disque du Odyshape des Raincoats était dès lors plus une invitation pour un voyage vers des terres musicales inexplorées. Ici, c'est aussi à un voyage où nous convie Galia Ackerman, mais vers un monde en ruine, perdu, irradié à jamais. Et où pourtant, de la vie, voire de l'espoir subsistent.
Outre cette iconographie qui intrigue d'emblée, on saluera d'emblée la carte du territoire Ukrainien livrée dès qu'on ouvre le livre. Un bon moyen de se repérer en effet dans tous les lieux cités dans l'ensemble de l'ouvrage. Et si l'on pestera par contre sur la faute principale de n'avoir mis aucune image dans le livre (même en noir et blanc), un peu comme si vous dénichiez un superbe livre dédié à la peinture mais qu'il n'y en avait aucune citée en exemple dedans, un lien internet donné d'emblée par l'auteur et l'éditeur dans le livre, permettent heureusement d'aller farfouiller, mais flûte quand même quoi !
Je chipote bien sûr pour la forme mais le sujet me passionne un peu quand même et j'attends de quelqu'un qui a d'ailleurs réalisé plusieurs expositions là dessus (dont une en 2006 à Barcelone où elle était commissaire d'expo quand même hein) et plusieurs ouvrages, fruits de la somme de près de 20 ans d'explorations de "la zone" (au sens Tarkovskien qu'on pourrait lui donner quelque part), un peu plus de rigueur sur ce terrain.
Bon après, cela n'empêche pas la passion et c'est essentiel, ce livre est des plus passionnants.
Entre récit et témoignage, enquête journalistique (rappel historique des faits pour mieux contextualiser en final, même !), voire roman, on est baladé d'un radar ultrapuissant digne de James Bond ("L'Arc" crée en 1976, démantelé depuis mais dont les restes en photos s'avèrent encore plus impressionnants que le texte --c'est dire l'importance du visuel), au petit cimetière juif de la ville sans oublier l'église Sainte Elie. On découvre l'histoire du couple Koukharenko qui dût constamment changer d'habitation ou bien la petite Maria, petit miracle du lieu (pas d'enfants ou de jeunes là bas !) née justement en août 1999, treize ans après la catastrophe... Et parfaitement saine. Et on apprend même d'étonnants détails techniques assez glaçants : A votre avis, si vous découpez du bois dans la zone irradiée illégalement pour ensuite le travailler pour en faire un meuble, voire un lit, que croyez-vous qu'il arrivera au couple de petits vieux ou aux petits jeunes qui attendent un enfant qui vont le prendre ? Vous vous en doutez horriblement j'en suis sûr...
Comme le résume l'auteure à propos de ces "ventes" : "Malheureusement, nous savons depuis longtemps que les autorités, à Tchernobyl comme à Fukushima, n'hésitent pas à augmenter les normes admissibles lorsque cela les arrange. Comme souvent la logique industrielle et marchande prévaut sur toute autre considération". (p.85)
Vous l'aurez compris, si le sujet vous passionne vous aussi, n'hésitez plus et jetez-vous dessus !