Tristes tropiques m'a longtemps habité, trop tard, au même titre que Les identités meurtrières. Ces livres qui sont le produit d'esprits simplement brillants - dans le sens qu'ils ne cherchent pas à l'être mais en font simplement la démonstration par le propos plutôt que par la posture - ont créé une forme de nostalgie douce-amère chez des lecteurs de tous âges et toutes catégories comme en témoignent entre autres les autres avis sur senscritique (mais pas que).
En un sens à la fin de la lecture on aurait envie de faire un câlin à Claude et de lui dire "Tu sais, dans le fond, tout ça n'est qu'une expérience de la mort poussé à la taille d'une civilisation". En effet ce que livre relate, c'est la disparition somme toute subite du monde sud-américain autochtones sous la poussé conjuguée de l'occidentalisme et de la modernité du 20e siècle. En quelques années, le monde semi "virginal" du début du siècle a laissé la place à un monde toujours plus proche de Paris, New York ou Londres, avec ce que ça comprend de souffrance de voir le passé disparaître comme d'un coup de baguette magique.
On y suit donc des années de la vie d'homme qui a aimé ces cultures, leur étrangeté et sa différence, dans un chemin qui le ramène presque de force dans son monde à lui. Un peu comme si on ne lisait de Narnia que l'opus final pendant que les héros franchissent la porte qui les ramène pour de bon chez eux. C'est étrange, triste et déconcertant, mais c'est aussi un exercice très utile pour sinon accepter la fin de soi, du moins contextualiser un peu la disparition d'une culture dans un monde à la fois plus grand par ses liens et plus petits par ses raccourcis.
Quelque part, il s'agirait presque d'un manuel pour les vieux afin d'expliquer aux plus jeunes la magie du monde d'avant internet, chose presque impossible sinon qu'en se gaussant de tous ces films dont l'intrigue s'écroule en trois minutes avec des téléphones portables et un accès à google.
Triste tropique est une lecture tout à fait recommandable, un peu le Marcel Pagnol de notre temps à sa façon. Car il faut bien comprendre et se souvenir que nous ne faisons tous que passer, et que dans le fond nous laissons peu de choses derrière nous. Apprentissage amer, mais nécessaire.