Même si les thèses de Freud étaient déjà connues du milieu médical viennois, c'est bien par ce livre que le scandale arriva. Tout d'abord, Freud refusait de porter un jugement sur les perversions qui, selon lui, existent à l'état latent dans la sexualité normale. Point de dégénérescence, donc, mais plutôt un "accident" du développement de la sexualité - une régression dans son parcours habituel suivi d'une fixation (fétichisme, homosexualité, sado-masochisme, pédophilie, voyeurisme, tout est passé en revue). Plus "grave" encore, ce parcours sexuel ne commencerait pas à l'adolescence mais... dès les premiers jours de vie du nourrisson. La vie sexuelle des enfants était déjà théorisée par d'autres auteurs contemporains, mais c'est la proposition de Freud qui fut jugée la plus effroyable.
Par l'observation objective, pourtant, n'importe quel parent peut témoigner de l'activité masturbatoire des tout-petits. Et la théorie freudienne ne présente pas autre chose que cette sexualité incomplète, auto-érotique, qui n'appelle absolument aucun argument tendancieux de nature pédophile, cela va sans dire...
Par une construction très cohérente, Freud montre ainsi de quelle manière les sexualités pathologiques et normale sont liées en explorant leur genèse commune durant l'enfance. Cela rejoint l'idée déjà présentée dans ses travaux sur le rêve et les actes manqués que tous les psychismes sains contiendraient en puissance toutes les déviances possibles, puisque leurs mécanismes profonds sont somme toute identiques.
Livre de début de carrière oblige, toutes les thèse finales de Freud ne sont pas présentes, en tout cas pas sous leur forme définitive, mais de nombreuses notes postérieures de l'auteur viennent combler ces manques. Bien qu'adressé plutôt à un public de spécialistes, le livre reste accessible à tous. L'écriture est froide, les arguments bien étayés et on est loin de l'idée d'un Freud généralisant à l'humanité toute entière ses obsessions morbides.
A lire dans une perspective holistique de la sexualité, la "libido" de Freud englobant les plus hautes réalisations de l'Homme (amour, tendresse, art, curiosité intellectuelle...) comme les plus basses perversions. Le haut n'est-il pas que le miroir du bas ?