Trois fois plus loin par litout
L'enfer vert mérite bien son surnom dans ce roman fantastico-scientifique signé d'un duo très efficace : Jérôme Camut et Nathalie Hug.
Il est des milieux naturels où l'homme n'est jamais le bienvenu. Il en va de sa survie. La forêt amazonienne fait encore partie de ces terres inexplorées car foncièrement inhospitalières. Pourtant ils sont quelques-uns à espérer en percer les derniers mystères. Des botanistes, des primatologues. Nina Scott, le personnage principal de « Trois fois plus loin », roman de Jérôme Camut et Nathalie Hug, a trouvé dans cette immensité verte un palliatif à son mal de vivre. Perchée au sommet d'un hévéa, elle cueille des plantes aux vertus médicinales. Une collecte pour un grand groupe pharmaceutique américain. Tout se passe bien, malgré les conditions climatiques extrêmes et le risque de croiser des braconniers, jusqu'au jour où un de ses collègues découvre des ruines au sommet d'un tepui isolé (immenses montagnes à sommet plat, aux contours très abrupts, se dressant au-dessus de la jungle). La jeune femme est persuadée d'avoir découvert les vestiges d'une civilisation perdue et beaucoup plus évoluée que les quelques tribus d'indiens de la région. Mais après une brève exploration elle découvre qu'il s'agit d'un cimetière, d'un charnier exactement. Et les restes humains ne sont pas si anciens que cela. La panique la guette, d'autant qu'elle note la présence inquiétante un groupe de singes, des saïmiris, habituellement bruyants, l'observant en silence. Il n'en faut pas plus pour faire fuir le groupe.
Une fois revenue à la civilisation, elle n'aura de cesse de retrouver ces ruines. Cela lui permettrait de faire la nique à son père, richissime romancier qui la surprotège. Mais de retour sur place, c'est un cauchemar qui débute. En pleine nuit, dans le noir complet, ses compagnons sont massacrés et elle est capturée par des inconnus puis enfermée dans une cage suspendue aux branches des arbres immenses. Quand elle est descendue, elle croit sa dernière heure arrivée : « Nina sent d'abord un souffle d'air sur sa nuque, puis elle éprouve avec dégoût le contact d'un visage glacé par une sueur âcre. Quelqu'un la renifle et la jauge comme un morceau de viande exposé que l'étal du boucher. Une main moite soulève ses vêtement pour caresser la peau de son dos. Des doigts inquisiteurs aux ongles cassés effleurent le tissu trempé de sa culotte. » Cette mise en bouche montre toute la virtuosité des auteurs à faire frémir le lecteur au côté de l'héroïne. Heureusement, cette dernière en réchappera et retrouvera la civilisation.
Mais quand elle racontera ses déboires à son père accouru la secourir, ce dernier sera sceptique. Randolph Scott a beaucoup d'imagination pour ses romans, mais reste cartésien dans sa vie quotidienne. Au fil des 400 pages écrites par le duo, le lecteur découvrira l'origine du charnier. Il faut remonter dans les années 50. Des chercheurs français, venus étudier les saïmiris muets, ont découvert dans cet enfer vert, ce qui pourrait bien être l'Eden. Mais même au paradis, des idées démoniaques peuvent germer dans les esprits malades. Passionnant, argumenté scientifiquement, dépaysant, ce roman peut effectivement ouvrir votre conscience au monde pour voir « Trois fois plus loin »