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Le texte :
Les Fontaines, au lieu dit Les Trois Gueules, est un village sclérosé sur lui-même jusqu’à l’arrivée des frères Charrier qui viennent y installer une carrière de pierre. Arrivent avec eux des ouvriers (les si merveilleusement nommés « fourmis blanches ») qui viennent s’installer et surtout André. Il est médecin et trouve en ce lieu un nouveau port d’attache, un havre de paix. Il s’installera dans une maison quittée par une famille dont un des enfants est mort dans son sommeil.
André a beau ne pas être né sur place, il y fait son trou. Et l’arrivée d’Elisa, un amour passager d’une nuit de déprime, avec un fils, Bénédict, n’entachera pas la réputation d’André. De toute façon, Elisa, incapable de vivre autre part qu’en ville, ne restera pas. Elle laissera Bénédict apprivoiser le village et embrasser la profession de son père à défaut d’avoir pu apprivoiser son géniteur.
Bénédict, à son tour, ramènera une femme de la ville mais sa fille, Bérénice, naîtra au village, dans la maison de ses parents et grands-parents. Bérénice grandira dans l’amitié puis l’amour de Valère, fils de paysans, éleveurs de vaches.
Tout semble donc de passer sous les meilleurs auspices : le village se développe, tant économiquement qu’humainement, les familles de Bérénice et de Valère vont indubitablement se rapprocher malgré l’écart social qu’il peut y avoir entre une famille de médecins, respectés et regardés avec déférence, au même titre qu’un maire ambitieux ou qu’un curé proche de ses paroissiens, et une famille de paysans dont les aînés sont bêtes à manger du foin et les cadets plus aptes à reprendre les rênes de la ferme.
Bérénice et Valère sont les deux facettes du village, le trait d’union entre toutes les strates sociales : grâce à eux le village pourra pérenniser son évolution.
Le grain de sable, l’orage le plus foudroyant des trois saisons, celle des aïeuls, celle des parents et celle des enfants, toutes comportant leur lot de tragédies, viendra de la rencontre d'Agnès, la femme de Bénédict et la mère de Bérénice, avec Valère.
Ah Dieu que l’écriture de Cécile Coulon me ravit à chaque nouveau livre un peu plus. Ces « Trois saisons d’orage » surpasse, pour moi, les précédents en tout. En terme de narration, en terme de style, Cécile Coulon rend une nouvelle fois une superbe copie. Si son récit est linéaire en terme de chronologie, elle sait parfaitement où créer les césures entre les différentes périodes de son histoire pour conserver une part de mystère à la tragédie qui prend forme sous nos yeux.
Ah Dieu que Cécile Coulon étonne aussi dans le savant mélange qu’elle opère des codes de Molière et de Racine. On retrouve déjà ces références dans les prénoms des personnages principaux : Valère, Elisa (ou Elise), Bérénice et Agnès. Chacun porte en lui les prémices de ce qui va se passer : Valère et l'aspect séducteur de ses rôles chez Molière, le drame des tragédies de Racine à travers Bérénice. Mais seuls Agnès et Valère prennent pleinement conscience de leur situation. Bérénice ne voit pas, ne sent pas ce qui se prépare, ce qui va arriver, elle est complètement étrangère au drame que sa seule présence rend inévitable.
Cette conscience offerte par Cécile Coulon à ses deux personnages principaux fonctionne admirablement bien : à la lecture du livre, on a littéralement l’impression qu’après avoir mis en place le cadre de son récit et sans toutefois faire disparaître les autres protagonistes, elle braque les projecteurs sur Agnès et Valère. Ce qui est d’autant plus logique que se sont leurs actes ou non actes à partir de cet instant qui va dicter, non pas le fait que la tragédie ait lieu ou non, on sait qu’elle aura lieu, mais le sens qu’elle va prendre et les conséquences qu’elle aura sur la famille de Bérénice et/ou sur le village.
Bénédict est un peu médecin malgré lui, par atavisme, par mimétisme avec son père. Agnès, par son métier, joue un peu les femmes savantes dans ce village sans prétention plutôt habité par les ouvriers et les fermiers. Valère joue les séducteurs, on en attend ni plus ni moins de lui, luttant contre ses propres envies... Entre comédie par moment (dans le sens de fable) et tragédie dans son ensemble, les Trois Gueules renferment ce qu'il faut de décor théâtral pour que la pièce se joue et se dénoue devant nous.
Les personnages de Cécile Coulon sont écorchés vifs et aucun d’entre eux ne trouve de repos, de quiétude, bien au contraire. Au fil des pages, au fur et à mesure des événements, leurs carapaces se fissurent mais n’éclatent jamais. Ils resteront pourtant blessés, cassés, écrasés parfois à jamais au sein d’un récit humain et déchirant.
Je pense que ces « Trois saisons d’orage » sont à ce jour mon livre préféré de Cécile Coulon… Ce récit ressemble à ces chemins de randonnée en montagne : il y a toujours plusieurs voix ou voies qui s'offrent au lecteur mais seule Cécile Coulon sait qu'elles sont celles que son récit devra emprunter.