De l’abeille au yo-yo, les presque trois cents pages de Tués par la mort répertorient et commentent des « morts incongrues au cinéma, infligées par des objets ou des êtres vivants dont la fonction première n’est pas de provoquer la mort » (p. 10). Autant dire qu’il y est moins question des Quatre Cents Coups ou de Lawrence d’Arabie que de Douce nuit, sanglante nuit 2 ou de Massacre au camp d’été.
Mais l’ouvrage de Lelo Jimmy Batista se distingue. D’une part, alors que beaucoup de livres sur les nanars proposent avant tout des listes, parfois commentées, mais nécessitant généralement une connexion internet pour en tirer pleinement parti, « Tués par la mort a été conçu pour être lu dans l’ordre. Il est présenté comme un dictionnaire mais ce n’est pas un dictionnaire. C’est un genre de guide. Ou plutôt un récit de voyage » (p. 10). Comme certains récits de voyage, celui-ci donne envie de voyager – en l’occurrence, de trouver et de regarder The Story of Woo Viet (« Mort par brosse à dents ») ou les Rongeurs de l’Apocalypse (« Mort par lapin »).
D’autre part, si les nanars constituent une partie des films évoqués, l’ouvrage traite plus largement de cinéma bis. Ou encore plus largement de cinéma en général. Ou d’autre chose : de littérature, d’histoire, de géographie, de narration (1), de troisième âge (2)… À la différence de pas mal de cinéphiles qui semblent avoir le nez dans le guidon quand ils écrivent, L.J. Batista sait qu’il y a autre chose que le cinéma dans la vie d’un cinéphile.


Car l’air de rien, Tués par la mort porte un regard sur notre époque. Ce regard explique aussi bien la haine de l’auteur envers les trottinettes électriques (auxquelles une page presque blanche est consacrée, pour plus tard) que la haute considération dans laquelle il porte Nicolas Cage. Ce que déplore l’auteur, ce sont les faux nanars (3), symptômes de « l’ère de la dérision sympa et du tout-référence ». Car « on vit une ère profondément cynique et ce que Cage dit lorsqu’il apparaît dans un film, c’est : “Mes amis, il est important d’en avoir quelque chose à foutre, il est important d’y croire, même si ça vous donne l’air parfaitement ridicule.” » (p. 71). CQFD.
Pour le reste, si les critiques institutionnels écrivaient sur Casablanca ou sur l’Aurore comme l’article « Mort par presse » parle des Ailes de l’enfer (4), je jetterais plus volontiers un œil à Casablanca ou à l’Aurore : l’auteur sait écrire, et le plaisir manifeste qu’il a pris en écrivant se retrouve partagé. C’est important, non ? Comme les très bons récits de voyage, Tués par la mort peut tout aussi bien être lu pour lui-même.


(1) Ainsi « un point essentiel du cinéma fantastique, du cinéma tout court et du storytelling en général : TOUT N’A PAS FORCÉMENT BESOIN D’ÊTRE EXPLIQUÉ TOUT LE TEMPS » (« Mort par oiseau », p. 208).


(2) « Face à un hurlement de vieux, les gens sont pétrifiés. Comme s’ils n’avaient pas les codes pour amalgamer cette force aveugle, qui se joue de toute correction, de toute décence et qui semble provenir du tréfonds des âges » (introduction, p. 9).


(3) « Comme le disait Beckett : “Essayez, ratez, essayez encore, ratez encore, ratez mieux.” Mais arrêtez de rater volontairement parce que c’est marrant. Par pitié. » (p. 208). Autrement dit, les nanars authentiques ont de l’ambition, les faux jouent sur le second degré. (L’auteur redouble de coups sur la série des Leprechaun, on peut tout aussi bien penser à des trucs comme Sharknado. (5) Je compte sur le lecteur de cette critique pour s’approprier l’idée avec ses propres titres de films.)


(4) « Les Ailes de l’enfer est un film où tout semble hurlé depuis les sommets de l’Olympe, où les acteurs n’incarnent plus des personnages, mais la testostérone d’un continent entier, où au moment où vous croyez l’histoire terminée, on vous balance cadeau, gratis, sans supplément, un Fairchild C123-K Provider qui défonce le strip de Las Vegas en atterrissage forcé, et où, après une ultime course poursuite en camion de pompiers, Nicolas Cage traverse un dernier mur de flammes en vol plané, laissant John Malkovich mourir seul, coincé sous une presse hydraulique, le crâne pulvérisé. Les Ailes de l’enfer n’est pas un chef-d’œuvre, mais si je vous propose, tout de suite, deux heures dans la plus belle salle de cinéma du monde avec le son à 11 et que je vous donne le choix entre ce film et dix classiques réalisés entre 1940 et aujourd’hui, je veux bien me crever les yeux si vous choisissez Casablanca » (p. 235). CQFD bis.


(5) Les notes de bas de page de Tués par la mort présentent une sorte de livre dont vous êtes le héros avec (notamment) Daniel Auteuil et Julien Lepers. C’était juste pour dire ça, vous pouvez retourner à la note 3.

Alcofribas
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 21 oct. 2020

Critique lue 96 fois

3 j'aime

Alcofribas

Écrit par

Critique lue 96 fois

3

D'autres avis sur Tués par la mort

Tués par la mort
DavidRumeaux
8

Tués par la mort !

On le saura maintenant, il faut donc 284 pages pour faire le tour des objets pouvant être meurtrier dans un film. Ou tout du moins, pour faire un tour déjà sacrément complet… Dans ce livre, l’auteur...

le 11 févr. 2021

1 j'aime

1

Du même critique

Propaganda
Alcofribas
7

Dans tous les sens

Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...

le 1 oct. 2017

31 j'aime

8

Le Jeune Acteur, tome 1
Alcofribas
7

« Ce Vincent Lacoste »

Pour ceux qui ne se seraient pas encore dit que les films et les albums de Riad Sattouf déclinent une seule et même œuvre sous différentes formes, ce premier volume du Jeune Acteur fait le lien de...

le 12 nov. 2021

21 j'aime

Un roi sans divertissement
Alcofribas
9

Façon de parler

Ce livre a ruiné l’image que je me faisais de son auteur. Sur la foi des gionophiles – voire gionolâtres – que j’avais précédemment rencontrées, je m’attendais à lire une sorte d’ode à la terre de...

le 4 avr. 2018

21 j'aime