Ha birviken ho kaohigellou
Et jamais vos dépotoirs
Ne wastint he brohenn dezi,
Ne lui abîmeront la peau,
Ken rust ha ken teo ha ma'z eo ...
Qu'elle a très rude et très épaisse...
...Zoken ma zav bremañ an heol
... Même si notre soleil se lève maintenant
War eun hedgwel merglet,
Sur premier plan de rouille,
Gand eur veredad kirri-tan en e lagad,
Avec un cimetière de voitures dans l'oeil,
Rag eun heol glaz eo hennez,
Car c'est un soleil vert,
O hunvréal ennañ e-unan en deiz
Qui se rêve lui-même le jour
Hag o teuzi da noz
Et se dissout la nuit
E hunou ar Vretonned,
Dans les sommeils bretons,
Extrait de "Ar men du" (la pierre noire), poèmes bilingues de Pierre Jakez Hélias, utilisé par Tri Yann dans An heol a zo glaz (le soleil est vert, 1981)
Sauda, musicienne bretonne d’une cinquantaine d’année, navigue entre le monde réel (le « bas-lieu ») et des mondes imaginaires, abreuvés de sources légendaires, où elle est accompagnée par diverses créatures surnaturelles. Alors qu’elle revient dans le monde réel, elle s’efface peu à peu de celui-ci, retrouvant des amis qui ont vieilli de vingt ans alors que seulement quelques mois se sont écoulés pour elle ; elle ne laisse qu’une faible empreinte dans leur mémoire, conduisant à redéfinir sa nature même et son lien avec ces mondes.
S’il est bien une œuvre qui me revient en mémoire à la lecture de TysT, ce n’est pas, comme le suggère la postfacière, un personnage de mes lectures adolescentes, mais cette chanson de Tri Yann consacrée à la lutte de la population bretonne contre la construction d’une centrale nucléaire sur le site de Plogoff (Plougoñ en breton, comme on peut le voir sur la carte ornant la seconde page de couverture du livre).
Car Tyst, s’il est avant tout le récit d’une fantasy mélancolique, à cheval entre le monde réel et des mondes imaginaires, où les animaux parlent, où le temps ne s’écoule pas de la même manière, est aussi ancré dans le territoire breton, sa culture, ses légendes et ses combats.
Tyst :
(Adjectif) Du vieux suédois thyster.
tyst \tʏst\
1. Silencieux.
Plutôt que le domaine du silence, Tyst est le royaume du non-dit. Divagation poétique entre un terrain concret et une vision résolument originale de la fantasy par luvan, Tyst n’est pas une œuvre facile à suivre. Il faut accepter de perdre pied, de ne pas tout comprendre et se laisser porter par cet univers fluctuant. C’est aussi un ouvrage rempli de joies et de peines, de mélancolie lorsque Sauda découvre qu’elle disparait de l’esprit de ses amis du monde réel. Tyst s’éloigne aussi des clichés habituels de la fantasy : loin du héros solitaire promis à un destin extraordinaire grâce à une prophétie et dont le chemin est un long apprentissage, le roman s’articule autour d’une personne déjà mature entouré d’un collectif hétérogène composé de créatures mythiques et d’animaux parlants dont la quête est avant tout intime.
Enfin, comme dans une grande partie de l’œuvre de l’autrice, c’est un rapport unique à la nature, à la fois dans sa pureté originelle, sans ses altérations humaines, mais aussi une évocation des dégâts que l’on y porte, par le biais de cette matière verte, dans laquelle on verra au choix le nucléaire évoqué plus haut par Tri Yann ou la pollution massive des côtes bretonnes par les algues vertes provoquée par l’élevage intensif.
Tyst n’est pas une œuvre qui peut laisser son lectorat indifférent : soit on accepte ce voyage flou, soit on le rejette. Mais dans le premier cas, ce sera un flot d’émotions, de perceptions, d’étrangetés uniques qui ne pourra que toucher, voire chambouler, le lecteur ou la lectrice.