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Ubik
7.9
Ubik

livre de Philip K. Dick (1969)

Ce serait donc cela un classique de la littérature de science-fiction ? Quelle déception ! Quel ravissement saboté ! On se retrouve, à la fin d'une lecture qui ne cesse de finir par des rebondissements et des révélations prévisibles à mille sept cent quatre-vingt dix kilomètres (distance entre New-York et Des Moines), face à une œuvre boiteuse, inégale, tant sur le plan stylistique que dans le récit lui-même, qui se cherche vainement une porte de sortie honnête et probe, en une contenance que nous oserons à peine qualifier de littéraire.


Evidemment, des choses intéressantes, mais néanmoins superficielles dans leur développement et leur profondeur, peuvent être créditées à cet ennui égrotant qui s'est matérialisé (pauvres feuilles de papier !) sous le titre pompeux d'Ubik (nous ne pouvons que trop saluer, sur ce dernier point, l'auteur, et son pédagogisme à tout crin qui s'exprime en de trop nombreux passages du roman, de nous avoir indiqué, à diverses reprises, et avec une fatuité qui aurait fait rougir le moindre dandy brumellien, le rapport évident entre ce substantif punkisé par la grâce du k et l'adjectif ubique). Par exemple, cette peur lancinante sans visage, ce danger dont l'imminence réduit les personnages à l'état d'angoisse, qui innervent l'entièreté du livre et qui se matérialisent à travers les visages tremblants, multi et protéiformes de Runciter ou l'absence, au contraire, de figure concrète (ou qui n'arrive pas à s'assembler) comme celle de Hollis :

Puis un visage bleuté et rébarbatif aux yeux enfoncés devint peu à peu distinct, tête isolée qui semblait flotter mystérieusement sans corps et sans cou. Les yeux ressemblaient à des pierres précieuses présentant un défaut ; ils scintillaient mais les facettes étaient irrégulières : les yeux projetaient des faisceaux lumineux dans des directions disparates. [...] Les photographies ne rendaient pas cette imperfection des plans et des surfaces, comme si tout cet édifice fragile était un jour tombé et s’était réduit en miettes, pour être recollé avec quelques bavures. (p. 121)

Ou encore, concernant Jory :

Un adolescent fluet et pâle, avec des yeux asymétriques pareils à deux billes noires sous des sourcils en broussaille. [...] Un sourire se dessinait sur son visage allongé, mais c’était un sourire de travers, un plissement déformé qui se transformait en rictus moqueur. Rien ne s’harmonisait dans ses traits. Ses oreilles avaient trop de circonvolutions pour faire pendant à ses yeux chitineux. Ses cheveux raides s’opposaient à ses sourcils fournis et frisés. Et son nez, se dit Joe, était trop mince, trop pointu, beaucoup trop long. Même son menton parvenait à ne pas s’harmoniser avec le reste du visage ; il était comme fendu au ciseau, une fissure profonde qui s’enfonçait jusqu’à l’os. Comme si, pensa Joe, le fabricant de cette créature, parvenu à ce point, avait résolu de lui porter un coup destiné à la détruire. Mais le matériau physique, la matière de base, avait montré trop de résistance ; le jeune garçon ne s’était pas cassé en deux. Il existait comme un défi à la force qui l’avait fabriqué ; et il la considérait d’un air moqueur ainsi que tout ce qui l’entourait. (p. 258)

Pour rappel, jusqu'au dénouement, mister Chip s'interrogera sur les forces antagonistes qui entrent en jeu dans ce monde de semi-vie et quel visage (peut-être à entendre au sens lévinassien ici) elles revêtent.

En tout cas, songea-t-il, voilà l’une des deux forces antagonistes qui dominent la situation ; Jory est celle qui nous détruit - qui nous a détruits, sauf moi. Derrière Jory il n’y a rien ; il est le point final. Est-ce que je rencontrerai l’autre force ? Pas assez tôt sans doute pour en profiter. (p. 264)
C’est vous qui êtes l’autre, dit Joe. Jory nous détruit, et vous essayez de nous aider. Derrière vous il n’y a personne, comme il n’y a personne derrière Jory. J’ai atteint les dernières entités concernées. (p. 272)

Mais si ces moments de vénusté engourdissent de façon passagère nos sens et nous permettent de supporter la pesanteur des répétitions (bigre ! oui, l'atomiseur Ubik a régressé, nous avons bien compris ; ne vous inquiétez pas monsieur Dick), le dispositif narratif bancal, la variation (incompréhensible) des points de vue, basculant d'un personnage à un autre (parfois seulement sur quelques pages ! (cf. Tippy Jackson, p. 65 - 68)), dans une optique probable de compassion et de "psychologisation" qui n'aboutit qu'à la sale sensation que tout ceci n'est qu'une belle entourloupe artificielle (comme dans le monde dans lequel ils vivent ?), ne permettent pas de nous enlever de nos narines le fumet sirupeux que nous sommes, bien malheureusement, passés à côté de quelque chose qui aurait pu être grand.


Une pensée émue pour les climacophobes : la barbe, des escaliers, monsieur Dick ! la barbe !

InBooksWeTrust
5
Écrit par

Créée

le 28 déc. 2024

Modifiée

le 28 déc. 2024

Critique lue 16 fois

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