Ita fac, mi Lucili !
« Fais-le, mon cher Lucilius ». Dès les premiers mots de la correspondance, nous sommes pris.es dans la discussion entre Sénèque et son ami (réel ou fictif) Lucilius, avec qui l’on se...
Par
le 23 juin 2020
6 j'aime
7
Ces chroniques à Libération et dans d’autres journaux entre 2013 et 2018, tout en conservant leur unité de forme et de fond, témoignent du flux de la pensée de Preciado. Il est toujours en travail sur des événements, sur les luttes qui se jouent dans le moment présent. Au fil des pages se déplie une politique minoritaire : toujours du côté des opprimé.es et des subalternes, il cherche dans l’histoire et dans l’épistémologie les sources de nos rapports de pouvoirs contemporains. Foucault n’est jamais bien loin. Mais il n’a pas besoin de le citer : pour Preciado, la biopolitique est une évidence qui traverse son corps trans, illégal et illisible.
La philosophie politique se fait toujours personnelle quand l’universel hégémonique est l’ennemi. C’est à travers les affects politiques, des autres comme des siens, que Preciado pense. C’est ausis pourquoi un écrit systématique serait probablement impossible. Les moments de résistance ne se font pas dans la pensée abstraite, mais dans des situations concrètes. Les migrant.es, les trans, les putes et les insurgé.es du Chiapas trouvent leur convergence : le discours colonial, patriarcal, hétéronormatif produit des subjectivités qui n’ont pas voix au chapitre. Mais Preciado n’écrit pas à la place des autres, il écrit depuis sa propre position, il témoigne, il invente.
Car la critique ne suffit plus. La décennie qui vient de s’écouler a été vécue dans l’urgence. Paul Preciado est un homme pressé, qui vit entre Barcelone, Athènes, Paris, Cassel et New York. Sa rage politique est avant tout une rage de vivre, de créer de nouvelles façons d’exister. Ce n’est pas une pose intellectuelle : c’est une nécessité vitale pour celui que les catégories de genre, de sexe, de nationalité n’acceptent pas.
Despentes a raison, dans sa préface : Preciado nous emporte avec lui. Nous aussi maintenant, nous voulons faire péter les limites de ce qui constitue une identité acceptable ou non. Cela passe par de nouveaux mots, de nouveaux actes, de nouveaux compagnons de route. Et si comme moi, vous n’êtes pas vos papiers d’identité, si vous n’avez plus envie de jouer la mascarade du sexe et du genre, si vous pissez sur tous les drapeaux, alors voudrez-vous peut-être de Paul Beatriz Preciado pour marcher à vos côtés.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Lus ou relus en 2020, Transidentités et Les meilleurs livres de 2019
Créée
le 31 mai 2020
Critique lue 427 fois
5 j'aime
Du même critique
« Fais-le, mon cher Lucilius ». Dès les premiers mots de la correspondance, nous sommes pris.es dans la discussion entre Sénèque et son ami (réel ou fictif) Lucilius, avec qui l’on se...
Par
le 23 juin 2020
6 j'aime
7
La meilleure présentation de ce livre serait probablement d’en lire les deux premières pages, qui vous percutent en pleine face par leur profondeur et la violence qu’elles décrivent. Si le Christ...
Par
le 10 juin 2020
5 j'aime
Ces chroniques à Libération et dans d’autres journaux entre 2013 et 2018, tout en conservant leur unité de forme et de fond, témoignent du flux de la pensée de Preciado. Il est toujours en travail...
Par
le 31 mai 2020
5 j'aime