Une âme oubliée, pour le meilleur et le pire

Si vous n'avez pas encore lu Ishiguro, vous découvrirez ici toute la finesse de son écriture. La retenue et la prudence, un style que l'on pourrait qualifié de "understated" (ou l'art de dire moins que la réalité pour en souligner encore plus l'importance), voilà quelques mots pour qualifier la plume de cet écrivain. Certains diront aussi que les choses se déroulent fort lentement, peut-être pourrait on insister d'avantage sur la nature intériorisée de la narration.


Alors on suit un vieil artiste passé de mode, évoluant avec sa famille dans l'après guerre japonaise. Sur la surface, tout semble normal. Mais par des touches, Ishiguro nous amène à questionner le récit de notre protagoniste, à tel point que l'on se concentre non pas sur le principale de ce qu'il raconte, mais sur les marges. On cherche à tout moment à trouver les failles, à comprendre pourquoi il porte tant de culpabilité. Car lorsque le récit commence, il se présente comme une personne jugée digne de confiance, plein de qualités et plutôt admiré.


Lentement, on découvre les vérités moins avouables. On ressent tout le mélange de culpabilité et de fierté qui rendent impossible une véritable remise en question, dans un Japon qui n'attend plus rien de notre héros, si ce n'est qu'il n'encombre pas la vie des nouvelles générations. Ses interrogations sur le bien, le mal, le beau, la décadance, l'honneur, l'utile et le rôle de l'art sont comme lui, peu objectives et souvent déplacées. Mais le Japon, dans son ensemble, n'a plus besoin de ses pensées.


Comme souvent dans Ishiguro, on sort de son récit comme on sort d'un rêve, conscient d'avoir partagé un moment d'intimité avec un personnage laissé sur le bord de la route. Un oublié. Un perdu. Et c'est beau.


PS: J'ai lu cet ouvrage en anglais (la version originale), donc je ne peux pas commenter sur la traduction du style (que j'imagine bonne).

Swanney
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le 27 sept. 2018

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