Incontournable Octobre 2024



Inspiré de l'histoire de monsieur Stéphane Laporte, cet album jeunesse réalisé sous le crayon habile et sensible de monsieur Jacques Goldstyn est une ode à la solidarité familiale, à la pluralité des rêves et au sport qui fait rêver encore aujourd'hui bien des québécois.es, le hockey.



Quand il était petit, Stéphane avait pour idole Jean-Beliveau, joueur du Canadien de Montréal, équipe québécoise de la LNH. Il regardait les matchs avec son père, qui sursautait entre deux ronflements quand les "habs" comptaient un but. Le jeune garçon rêve de pouvoir jouer avec son idole sur la glace, mais il ne sait pas patiner. Un jour de novembre enneigé, il découvre, posé sur son bureau, un cadeau. Un peu étrange, tout-de-même de découvrir un présent près d'un mois trop tôt. Cependant, Stéphane est tout heureux d'y découvrir des patins. Sa maman parvient à lui donner une explication convaincante concernant le cadeau hâtif en expliquant que le Père Noël a de plus en plus de cadeaux à livrer, alors il prend de l'avance. le grand frère de Stéphane, Bertrand, réalise une petite patinoire privée dans la ruelle derrière leur logement, puisqu'il fait parti d'une ligue de hockey et doit s'entrainer. Une fois ses patins bruns lassés, casque au crâne et bâton à la mains, il pose les pieds pour la première fois sur la glace. Les choses prennent alors une tournure inattendue.



Attention, à partir d'ici, il y a aura des divulgâches.



Bertrand propose de commencer à patiner à l'aide d'un chaise, qu'on tient par le dossier pour mieux s'équilibrer ( technique avérée, peut aussi être remplacée par un cône orange). Bien vite, cependant, Stéphane perd pied et tombe. Il se relève. Tombe à nouveau. Il recommence. Tombe une fois encore. Sa famille le regarde réessayer vaillamment par la fenêtre, le cœur un peu plus serré à chaque chute. Le papa déclare à sa conjointe que ce n'était peut-être pas une bonne chose de lui avoir offert des patins en raison de ses jambes, qui ont déjà du mal à le porter à la marche. La maman de lui répondre que c'est parce "qu'il en voulait tellement, des patins!" Trois heures plus tard, Stéphane est courbaturé de partout, avec l'impression d'être une tortue retournée sur sa carapace. Dépité, il regagne la maison, alourdit de tristesse, sous le regard tout aussi affligé de ses proches. Stéphane a toujours su s'adapter de ses jambes croches, mais il semble que le patinage est hors de sa porté. Confronté à sa première grosse limite, il entreprend de rédiger ses pensées et ses actions dans son journal:



"Si j'ai reçu mon cadeau de Noël en novembre, c'est pour que je ne sois pas en larmes à Noël. Ce n'est surement pas le père Noël qui a pensé à ça. C'est surement ma mère. Elle savait que je ne serais pas capable de me servir des patins que je voulais tant. Elle savait que je ne l'aurais pas compris sans l'essayer. Elle savait qu'il me fallait vouloir autre chose pour Noël" (P.33).



La passion de Stéphane, au-delà de son intérêt pour le hockey, est l'écriture. "Écrire, c'est ressentir, écrire c'est rêver". Stéphane mise sur ses forces, celles qui font de lui un petit gars unique, sur qui ont peut compter, tout en sachant que lui peut compter sur ses proches. Ses idoles, eux aussi. "Il y a des rêves qui se brisent et d'autres qui se réalisent. L'important c'est d'en avoir plein. L'important, c'est de rêver".



Il y a tant de belles choses dans cette histoire, mais il faut dire que les livres signées Goldstyn nous ont habitués à des œuvres touchantes, avec un quelque chose d'à la fois si terre-à-terre et si humaniste. Je pense à l'album "Les étoiles", "Le monde de Maxime" ou encore " Azadah". C'est fou de pouvoir toucher les gens à chaque nouvelle parution, et c'est pourquoi cet artiste fait parti de mes préférés. "Un cadeau de Noël en novembre" ne fait pas exception.



Déjà, je remarque un aspect très pertinent sur le plan du savoir expérientiel. Tout comme on ne fait pas d'omelette dans casser des œufs, on n'apprend pas sans jamais rien expérimenter. Dans un monde qui me semble ultra-protecteur de sa jeunesse, il me semble que c'est un bon rappel. Surtout, certaines choses ne s'apprennent que par la voie de l'expérience et des échecs, dans des situations concrètes. Il serait bon de se rappeler que d'échouer n'est pas une faiblesse. Reconnaitre ses limites n'est pas un aveu d'échec non plus, c'est savoir être lucide, pragmatique et surtout respectueux de ses limites en tant personne. Dans un monde où l'exercice de la performance est à tout niveau, admettre ses limites et reconnaître l'échec comme source d'expérience est ardu, mais salvateur et déculpabilisant. C'est reconnaitre qu'on est humains et qu'on fait notre gros possible pour vivre une vie à la hauteur des valeurs et des projets qu'on veut défendre.



Pourtant, comme le dit si bien le personnage de Stéphane ( et sans doute le vrai Stéphane aussi), on peut avoir pleins de rêves et d'objectifs. Certains seront sur le long terme, d'autres seront au jour le jour, mais au final, on a rarement qu'un seul rêve absolu qu'il faut impérativement accomplir, comme dans les films de Disney. Il y a une ligne fine entre la persévérance et l'acharnement, et c'est parfois difficile de savoir où elle se situe. Peut-être est-ce quand la seule chose que ce rêve apporte est la souffrance? Bon, trêve de philo.



Pour faire suite, j'admire la délicatesse de l'idée de la maman, qui a offert le présent tant espéré plus tôt pour qu'il fasse "son deuil" de ce cadeau avant le temps des fêtes. Lui permettre de faire ses expériences par lui-même est aussi une belle attention de la part d'un parent, mais avoir le flaire de prévoir l'échec presque assuré de son enfant doit être souffrant pour un parent qui tient à son enfant. Je trouve que c'est une grande force de la part d'un parent de laisser son enfant explorer son monde et faire des constats par lui-même, car il doit être ardu de trouver l'équilibre entre son instinct protecteur de parent et son désir le voir évoluer, se développer et cheminer doucement dans son identité par lui-même. En outre, penser à décaler le temps de la peine avant les fêtes, c'est bien pensé, comme ça il peut vivre sa peine hors d'un temps des fêtes propice aux célébrations et à la joie. Je trouve qu'il y a du tact dans cette idée.



J'admire les autres membres de cette famille d'avoir cru en lui même avec un échec quasi assuré, d'avoir été présents et actifs. Je me régale de cette famille solidaire et si bienveillante. On le voit dans les petits gestes qu'ils ont les uns pour les autres, pour ce travail d'équipe qu'on perçoit entre les lignes et bien sur, pour cette empathique qui transpire sur chaque page. C'est ça l'amour, je trouve, un réel soucis pour l'autre, une solidarité inconditionnelle, une empathie sincère et bien sur, une confiance mutuelle. Je retrouve dans cette famille une relation saine et sans être dénuée de sa part de défis, a des fondations solides. Je comprend Stéphane les qualifier "d'idoles", je trouve ce mot très approprié. Dans une littérature jeunesse et adulte qui a la fâcheuse manie de glorifier les relations malsaines ces temps-ci, je me réjouis de trouver des auteurs pour parler des relations saines, de celles qui forgent des estimes de soi capables de fleurir et qui se passe bien du superficiel, du conditionnel et du transactionnel. Et l'amour, ce n'est pas qu'affaire de couples, c'est tout aussi bien une affaire de famille.



C'est également un album qui met en lumière un personnage avec une particularité au niveau moteur, car ses jambes crochues semblent avoir été un enjeu au niveau de la locomotion générale de Stéphane, ses déplacements. On a donc la présence de la diversité fonctionnelle et cette diversité reste sous-représentée en littérature jeunesse. Je réitère que la présence des diversités, quel quelle soit, a pour avantage de présenter la richesse du monde et éloigne de l'intolérance et des préjugés. Elle permet aussi de développer l'empathie et favorise la curiosité, ça n'a donc rien de banal ou de secondaire.



Enfin, le hockey, ben oui, parlons en! Il faut savoir, pour les européen.e.s qui me lisent, que c'est un élément culturel et social, le hockey, pour le Québec, les États-Unis et le Canada. Le Québec a vu son équipe de Montréal, les Canadiens ( comprendre "les canadiens-français") remporter le plus grand nombre de coupe Stanley de l'histoire de la LNH, mais surtout, elle a été une équipe "du peuple pour le peuple". C'est une équipe dont les membres, des canadiens français d'origine modeste, a su s'élever dans l'Élite du sport, à une époque encore très clivée entre une classe ouvrière québécoise multiethnique et une bourgeoisie anglaise. Il y a donc une dimension de communauté et de fierté nationale québécoise dans ce sport, dans ses racines et ça explique sans doute pourquoi, aujourd'hui encore, la Belle province vibre au son des "Go, habs go!" - même si les Canadiens de Montréal perdent chaque année. Il faut préciser que ce furent les années où la seconde équipe québécoise, les Nordiques du Québec ( aujourd'hui l'Avalanche du Colorado), qui ont marqué le plus les québécois, car il parait que ce fut une grande rivalité donnant lieu à des matchs électrisants, que nul salaire complètement insensés ne venait récompenser. À cette époque, les gars jouaient pour le sport. Du moins, c'est le portrait qu'on m'en a dressé autant dans les documentaires que les soirées en famille. Bref, le hockey est aux québécois ce que le football est aux Européens, un sport rassembleur aux accents légendaires.

Ah, je précise que les patins de hockey ont effectivement été longtemps bruns, car confectionnés en cuir. Ils sont faits en matériaux synthétiques de nos jours.



Nous avons placé cet album dans le lectorat intermédiaire en raison de sa longueur et de ses sujets, qui sont relativement profonds et qui parleront sans doute plus aux 8-9 ans et plus qu'aux plus jeunes. Les 8-9 ans peuvent aussi le lire par eux-même, alors que les débutants de 6-7 ans vont avoir besoin de se le faire lire, pour la plupart. Ces attributions sont bien sur arbitraires et subjectives, la libraire que je suis sais que chaque lecteur est unique. Elles sont donc là à titre indicatif. Par ailleurs, je le mentionne car certain.e.s en doutent encore: Les albums jeunesse, tout comme la littérature jeunesse, sont pour TOUT le monde! Adultes inclus. Je pense même que ça plaira à certains lectorats, comme nos aînés, auxquels il fera vibrer probablement leur fibre nostalgique et leur cœur d'enfant. Ça sonne quétaine/gnangnan, mais je n'en pense pas moins.



Un superbe album touchant, rempli d'espoir et tourné vers la force qui unit une famille, sortit juste à temps pour le temps des fêtes.



Pour un lectorat intermédiaire à partir du 2e cycle primaire, 8-9 ans+

Créée

le 5 nov. 2024

Critique lue 2 fois

Shaynning

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