Critique de Shaynning

Incontournable Septembre 2022

Ce ciel aux plumes virevoltantes pourrait être un de ces jolis albums destinés aux enfants. À cela je vous détrompe: Il s'agit en réalité d'un membre de la famille Griff, aux éditions de l'Isatis. Albums destinés au lectorat adolescent et aux jeunes adultes, ils revêtent souvent des sujets d'importance, dans le but d'amener par le biais de leurs histoires, un volet documentaire sur des enjeux qui peuvent interpeller la jeunesse.

La présente histoire est fictive, mais elle s'inspire de deux grands faits historiques concernant des populations d'oiseaux. La première concerne la tourte voyageuse. C'était d'ailleurs de cet oiseau que provient le nom de la célèbre "tourtière" québecoise, un plat populaire qui doit aujourd'hui se faire à base de bœuf ou de veau, faute de tourtes. Il faut remonter à la fin du 18e et au début du 19e pour comprendre pourquoi les tourtes ne peuplent plus le nord de l’Amérique. Abondamment chassée, cette espèce qui formaient de formidables essaims dans le ciel, s’est retrouvée déséquilibrée. Il faut un seuil minimal de membres pour la reproduction et pour son organisation. La domestication de cet oiseau fut un échec, cet oiseau étant conçu pour la vie en groupe. Dans l'histoire, on observera une tourte rescapée du massacre des citoyens par une vieille dame. Malgré ses bons soins, l'oiseau vit une détresse psychologique importante. Privé de ses pairs et de son espace aérien, l'oiseau se laisse peu à peu mourir. Il sera sauvé le jour où une femelle de l'espèce vient à la fenêtre de la maison de la dame. Il se met alors à chanter, ce qui émeut la dame et la convainc de laisser l'oiseau sortir. Mais dans la vraie vie, les tourtes domestiqués se sont réellement laissées mourir.

Le second fait historique repose sur une campagne d'extermination de moineaux en Chine communiste des années 50. Mao décide que les oiseaux de cette espèce sont des voleurs de grains des récoltes et fait le calcul que leur disparition va générer des gains en nourriture. Le Parti lance donc une campagne radicale qui promeut l'extermination des oiseaux. On emplois des frondes, des fusils et même des bâtons. On casse les œufs, brise les nids et tue les oisillons. On utilise des casseroles pour créer des tintamarres, qui pousseront les oiseaux à demeurer en pleins vol. D'épuisement, ils finissent par chuter et se tuer. Pour citer le livre: "Il pleut des oiseaux" . C'est ce à quoi nous assistons dans l'histoire. Des citoyens motivés, galvanisés, qui vont faire la guerre aux oiseaux. Leur ferveur est telle qu'ils parviennent à vider le ciel de ses oiseaux. Malheureusement, en décimant le principal prédateurs des insectes, la suite est un fiasco terrifiant. Sans oiseaux, les insectes font mains basse sur les récoltes. Une grave famine commence, emportant des millions de chinois dans la mort, entre 1959 et 1961, soit entre 15 et 55 millions de personnes. La campagne fut baptisée "Campagne des quatre nuisibles", dont les moustiques, rats, mouches et les oiseaux.

Il faut cependant observer une chose: tous ne furent pas d'accord avec l'extermination des oiseaux. Dans l'histoire, on fait un tour global de ceux et celles qui ont comprit d'emblée la folie d'une telle campagne. Dans l'histoire de l'album, des artistes pleurent leur inspiration issus de ces êtres volants, les amis des animaux pleurent leurs petits amis et les pacifistes pleurent cette violence collective qui ne tolère pas les contrevenants. Ce qui est notable ici, c'est que la majorité galvanisée enterre la pensée individuelle, comme tout bon système totalitaire. Personne ne peut aller à l'encontre de la "solution" proposée. La radicalisation opère ici une dangereuse mainmise, nullement soutenue par la science ou la pensée logique, encore moins quelque pensée environnementale que ce soit. Et malheureusement, ce n'est pas seulement la Nature qui se retrouve en déséquilibre, mais l'humanité également.

Nous sommes imputables de nos comportements destructeurs, nous en prenons maintenant conscience et les massacres d'oiseaux révèlent ce que certaines communautés, comme les premières nations autochtones, s'évertuaient à rappeler: ce que nous faisons subir à notre Nature, celle-ci nous le rendra au centuple. Nous avons créer d'importants déséquilibres environnementaux avec nos principes économiques basés sur la croissance et nos traitements radicaux à l'endroit de la biodiversité. Il importe de prendre acte de nos erreurs et de corriger, au mieux, la situation. S'il est désormais trop tard pour les tourtes voyageuse qui a rejoint la liste des espèces disparues, il n'est jamais trop tard pour agir envers les espèces qui restent à sauver. En 2010, à Nagoya, au Japon, une convention internationale, comprenant 181 pays signataires, entame "La Décennie des Nations unies pour la biodiversité (2011-2020)".

Mais. "Les résultats n’ont rien d’encourageant, car aucun des vingt objectifs n’a été pleinement atteint. Seuls six des vingt objectifs sont sur une voie plus positive."[ Mme Anne Larigauderie, Biologiste de formation, spécialiste de l’écologie des plantes, présente à Nagoya en 2010, et secrétaire exécutive de l’IPBES]

Un album aux illustrations magnifiques, au sujet confrontant, mais actuel, qui nous rappelle que nous sommes les principaux architectes de notre avenir et que nos comportements puérils, qui impacte de pleins fouet notre propre environnement, nous précipitent doit dans un mur. C'est également un album qui constitue une bonne entrée en matière tant sur les enjeux environnementaux , mais aussi sur les dangers des outils radicaux et simplistes de gouvernement dictatoriaux inconscients.

Pour un lectorat à partir du premier cycle primaire, 13 ans+.