Bonnes nouvelles des étoiles
Besoin d’évasion ? De grands espaces ? D’aventure ? Pas besoin d’acheter un billet d’avion, il suffit de se plonger dans Un feu sur l’abîme. Pourquoi ? Car il s’agit d’un tout grand livre de science fiction. Grand, il l’est d’abord par sa longueur. En effet, on peut légitiment ressentir une légère hésitation au moment de se lancer dans une telle brique. Pourtant, c’est parfois le prix à payer pour un roman épique, intelligent et vertigineux.
Je m’explique. Le terrain de jeu de Vernor Vinge à travers ce bouquin n’est rien d’autre que notre galaxie. Classique, pour un space opera ? Oui, mais c’est oublier qu’un tel genre autorise toutes les idées farfelues. Et des idées, l’auteur n’en manque pas. Pour commencer, il fait très fort en concoctant pour notre Voie Lactée des lois de la physique bien à elle. Fantaisiste ? Bien sûr ! Et c’est tant mieux, car cela a un réel impact sur l’histoire. Une galaxie dans laquelle la localisation influe directement sur la vitesse de déplacement des objets et des données, c’est une excellente idée. Surtout si la narration est suffisamment bien maîtrisée pour permettre d’assimiler progressivement son fonctionnement.
Un bon roman, c’est aussi de bons personnages. Il y en a de toutes sortes, dans Un feu sur l’abîme. D’une part des êtres humains comme vous et moi, d’autre part des espèces tout à fait exotiques et inhumaines (au sens strict du terme). Le lecteur a tout le temps d’apprendre à les connaître, à les apprécier, ou à les haïr. Toutes ces bestioles se débattent à travers deux intrigues distinctes quoiqu’intimement liées. L’histoire générale, grosso modo, ressemble à ceci : une entité absurdement puissante et gigantesque menace des milliers de civilisations, la faute à une expédition humaine (les sots, ne faites pas confiance à ces gens-là) bêtement tombée dans un piège. Heureusement, avant qu’il ne se referme, quelques survivants arrivent à fuir et à atterrir sur une petite planète difficilement accessible, médiévale, et ignorante de l’immense réseau qui connecte la galaxie. Toutefois, conscients de ce qu’ils ont déclenché, les fuyards emportent avec eux un éventuel remède à la catastrophe, ce qui ne servirait à rien s’il n’y avait pas une jeune humaine, très loin de là, pour avoir vent de cette rumeur et se retrouver embarquée dans une épopée presque désespérée.
Au-delà de l’histoire, qui se déroule donc sur deux échelles radicalement différentes (celle de la galaxie d’une part, celle d’une petite région sur une humble planète d’autre part), je retiens surtout de ce roman les nombreuses idées de génie qui le parsèment. Parmi elles, je note par exemple l’omniprésence du thème du réseau et l’utilisation parfois étonnante qui en est faite. Alors qu’à l’époque de parution de ce livre, en 1992, le web n’en était qu’à ses balbutiements, on dirait bien que Vernor Vinge avait déjà compris l’aspect capital qu’Internet acquerrait dans un avenir proche. Sur ce point, j’oserais presque le mot visionnaire. Enfin, comme pour la division de la galaxie en zones disparates, l’idée du réseau n’est pas simplement là pour faire joli mais s’intègre sans problème aux intrigues.
De grandes idées, une grande histoire, une grande maîtrise : voilà pourquoi Un feu sur l’abîme me semble être un grand roman de science-fiction, compagnon idéal de la morne monotonie de nos vies de rampants.